Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/368

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quelque iour encore renaistre. Et des hommes dit Apulée : sigillatim mortales, cunctim perpetui. Alexandre escriuit à sa mere, la narration d’vn prestre Ægyptien, tirée de leurs monuments, tesmoignant l’ancienneté de cette nation infinie, et comprenant la naissance el progrez des autres païs au vray. Cicero et Diodorus disent de leur temps, que les Chaldeens lenoient registre de quatre cens mille tant d’ans. Aristote, Pline, et autres, que Zoroastre viuoit six mille ans auant l’aage de Platon. Platon dit, que ceux de la ville de Saïs, ont des memoires par escrit, de huict mille ans : la ville d’Athenes fut bastie mille ans auant ladicte ville de Saïs. Epicurus, qu’en mesme temps que les choses sont icy comme nous les voyons, elles sont toutes pareilles, et en mesme façon, en plusieurs autres mondes. Ce qu’il eust dict plus asseurément, s’il eust veu les similitudes, et conuenances de ce nouueau monde des Indes Occidentales, auec le nostre, present et passé, en si estranges exemples.En verité considerant ce qui est venu à nostre science du cours de cette police terrestre, ie me suis souuent esmerueillé de voir en vne tres-grande distance de lieux et de temps, les rencontres d’un si grand nombre d’opinions populaires, sauuages, et des mœurs et creances saunages, et qui par aucun biais ne semblent tenir à nostre naturel discours. C’est vn grand ouurier de miracles que l’esprit humain. Mais cette relation a ie ne sçay quoy encore de plus heteroclite : elle se trouue aussi en noms, et en mille autres choses. Car on y trouua des nations, n’ayans, que nous scachions, iamais ouy nouuelles de nous, où la circoncision estoit en credit où il y auoit des estats et grandes polices maintenuës par des femmes, sans hommes : où nos ieusnes et nostre caresme estoit representé, y adioustant l’abstinence des femmes : où nos croix estoient en diuerses façons en credit, icy on en honoroit les sepultures, on les appliquoit là, et nommément celle de S. André, à se deffendre des visions nocturnes, et à les mettre sur les couches des enfans contre les enchantements : ailleurs ils en rencontrerent vne de bois de grande hauteur, adorée pour Dieu de la pluye, et celle là bien fort auant dans la terre ferme : on y trouua vne bien expresse image de nos penitentiers : l’vsage des mitres, le cœlibat des prestres, l’art de deuiner par les entrailles des animaux sacrifiez : l’abstinence de toute sorte de chair et poisson, à leur viure, la façon aux prestres d’vser en officiant de langue particuliere, et non vulgaire : et cette fantasie, que le premier Dieu fut chassé par vn second son frere puisné ; qu’ils furent creés auec toutes commoditez,