Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/370

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lesquelles on leur a depuis retranchées pour leur peché ; changé leur territoire, et empiré leur condition naturelle : qu’autresfois ils ont esté submergez par l’inondation des eaux celestes, qu’il ne s’en sauua que peu de familles, qui se ietterent dans les haults creux des montagnes, lesquels creux ils boucherent, si que l’eau n’y entra point, ayans enfermé là dedans, plusieurs sortes d’animaux ; que quand ils sentirent la pluye cesser, ils mirent hors des chiens, lesquels estans reuenus nets et mouillez, ils iugerent l’eau n’estre encore guere abaissée ; depuis en ayans faict sortir d’autres, et les voyans reuenir bourbeux, ils sortirent repeupler le monde, qu’ils trouuerent plein seulement de serpens. On rencontra en quelque endroit, la persuasion du iour du iugement, si qu’ils s’offençoient merueilleusement contre les Espagnols qui espandoient les os des trespassez, en fouillant les richesses des sepultures, disans que ces os escartez ne se pourroient facilement reioindre : la trafique par eschange, et non autre, foires et marchez pour cet effect des nains et personnes difformes, pour l’ornement des tables des Princes : l’vsage de la fauconnerie selon la nature de leurs oyseaux ; subsides tyranniques : delicatesses de iardinages ; dances, saults bateleresques ; musique d’instrumens ; armoiries ; ieux de paulme ; ieu de dez et de sort, auquel ils s’eschauffent souuent, iusques à s’y iouer eux mesmes, et leur liberté : medecine non autre que de charmes : la forme d’escrire par figures : creance d’vn seul premier homme pere de tous les peuples ; adoration d’vn Dieu qui vesquit autrefois homme en parfaicte virginité, ieusne, et poenitence, preschant la loy de nature, et des ceremonies de la religion, et qui disparut du monde, sans mort naturelle : l’opinion des geants : l’vsage de s’enyurer de leurs breuuages, et de boire d’autant : ornemens religieux peints d’ossemens et testes de morts, surplys, eau-beniste, aspergez ; femmes et seruiteurs, qui se presentent à l’enuy à se brusler et enterrer, auec le mary ou maistre trespassé : loy que les aisnez succedent à tout le bien, et n’est reserué aucune part au puisné, que d’obeissance : coustume à la promotion de certain office de grande authorité, que celuy qui est promeu prend vn nouueau nom, et quitte le sien : de verser de la chaulx sur le genou de l’enfant freschement nay, en luy disant, Tu és venu de pouldre, et retourneras en pouldre : l’art des augures. Ces vains ombrages de nostre religion, qui se voient en