Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/494

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deliberer, voire és choses plus legeres, m’importune. Et sens mon esprit plus empesché à souffrir le bransle, et les secousses diuerses du doute, et de la consultation, qu’à se rassoir et resoudre à quelque party que ce soit, apres que la chance est liurée. Peu de passions m’ont troublé le sommeil, mais des deliberations, la moindre me le trouble. Tout ainsi que des chemins, i’en cuite volontiers les costez pendants et glissans, et me ielle dans le battu, le plus boüeux, et enfondrant, d’où ie ne puisse aller plus bas, et y cherche seurté. Aussi i’ayme les malheurs tous purs, qui ne m’exercent et tracassent plus, apres l’incertitude de leur rabillage : et qui du premier saut me poussent droictement en la souffrance.

Dubia plus torquent mala.

Aux euenemens, ie me porte virilement, en la conduicte puerilement. L’horreur de la cheute me donne plus de fiebure que le coup. Le ieu ne vaut pas la chandelle. L’auaritieux a plus mauvais conte de sa passion, que n’a le pauure : et le ialoux, que le cocu. Et y a moins de mal souuent, à perdre sa vigne, qu’à la plaider. La plus basse marche, est la plus ferme : c’est le siege de la constance. Vous n’y auez besoing que de vous. Elle se fonde là, et appuye toute en soy. Cet exemple, d’vn Gentil-homme que plusieurs ont cogneu, a il pas quelque air philosophique ? Il se marya bien auant en l’aage, ayant passé en bon compaignon sa ieunesse, grand diseur, grand gaudisseur. Se souuenant combien la matiere de cornardise luy auoit donné dequoy parler et se moquer des autres : pour se mettre à couuert, il espousa vne femme, qu’il print au lieu, où chacun en trouue pour son argent, et dressa auec elle ses alliances : Bon iour putain, bon iour cocu : et n’est chose dequoy plus soquent et ouuertement, il entretinst chez luy les suruenans, que de ce sien dessein : par où il bridoit les occultes caquets des moqueurs, et esmoussoit la poincte de ce reproche.Quant à l’ambition, qui est voisine de la presumption, ou fille plustost, il eust fallu pour m’aduancer, que la Fortune me fust venu querir par le poing car de me mettre en peine pour vn’esperance incertaine, et me soubmettre à toutes les difficultez, qui accompaignent ceux qui cherchent à se pousser en credit, sur le commencement de leur progrez, ie ne l’eusse sçeu faire,

Spem pretio non emo.