propose pour toute satisfaction dernière que l’honneur, et pour tout moyen d’y parvenir que la vaillance.
Il a toujours plaisir à louer le mérite partout où il le rencontre chez ses amis, et même chez ses ennemis. — Ce que je vois de beau chez les autres, je le loue et l’estime très volontiers ; je[1] renchéris même souvent sur ce que j’en pense ; je me permets cette exagération, mais rien de plus, car je suis incapable d’inventer de toutes pièces quelque chose qui ne serait pas. Je témoigne avec plaisir de ce qui, chez mes amis, est digne d’éloge ; pour un pied de valeur qu’ils peuvent avoir, je leur en accorde aisément un et demi ; mais je ne saurais leur attribuer des qualités qu’ils n’ont pas, ni les défendre quand même des imperfections qu’ils ont. Même à mes ennemis, je rends nettement témoignage de ce qui est à leur honneur ; mes sentiments vis-à-vis d’eux sont autres, mais mon jugement n’en est pas altéré ; je ne fais pas entrer la querelle qui nous sépare, en ligne de compte avec des considérations où elle n’a que faire ; je suis si jaloux de conserver toute liberté à mon jugement, que je me résous difficilement à y renoncer, sous l’empire de quelque passion que ce soit ; je me fais, en mentant, plus d’injure à moi-même qu’à celui auquel s’applique mon mensonge. Cette louable et généreuse coutume qui régnait en Perse, de toujours parler honorablement et équitablement, autant que le comportait le mérite de leur vertu, de leurs ennemis mortels, de ceux auxquels ils faisaient une guerre à outrance, est digne de remarque.
Les hommes complets sont rares ; éloge de son ami Étienne de la Boétie. — Je connais nombre d’hommes qui ont de belles qualités de diverses sortes : celui-ci a de l’esprit, celui-là du cœur, d’autres ont soit de l’habileté, soit de la conscience, soit le don de la parole, sont des savants émérites, etc. ; mais des hommes grands en toutes choses, qui aient toutes ces belles facultés réunies, ou l’une d’elles à un degré qui force à les admirer et permet de les comparer aux hommes des temps passés que nous honorons, je n’ai pas eu la bonne fortune d’en rencontrer un seul. De ceux que j’ai connus à fond, le plus grand, j’entends sous le rapport des dons naturels de l’âme, le mieux doué, a été Étienne de la Boétie. C’était une nature vraiment complète, supérieure à tous égards, une âme de vieille marque, qui eût atteint à de grands résultats, si sa fortune l’eût permis ; car, à ce naturel déjà si riche, il avait beaucoup ajouté par l’étude et la science.
Les gens de lettres sont vains et faibles d’entendement ; peut-être est-on porté envers eux à peu d’indulgence. — Je ne sais comment cela se fait, bien qu’il n’y ait pas de doute sur ce point, qu’on rencontre autant de vanité et de faiblesse de jugement chez ceux de professions comportant une certaine instruction et s’adonnant à l’étude des lettres, ou dans des situations qui font qu’ils fréquentent couramment les livres, que chez n’importe quelle autre sorte de gens. Peut-être est-ce parce qu’on leur demande plus, qu’on en attend davantage, et qu’on ne peut excuser chez eux les
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