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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/620

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en auoit trouué vn innocent : et les fit depescher tous trois : Le premier soldat, par ce qu’il y auoit arrest contre luy : le second qui s’estoit esgaré, par ce qu’il estoit cause de la mort de son compagnon ; et le bourreau pour n’auoir obey au commandement qu’on luy auoit faict.Ceux qui ont à negocier auec des femmes testues, peuuent auoir essayé à quelle rage on les iette, quand on oppose à leur agitation, le silence et la froideur, et qu’on desdaigne de nourrir leur courroux. L’orateur Celius estoit merueilleusement cholere de sa nature. A vn, qui souppoit en sa compagnie, homme de molle et douce conuersation, et qui pour ne l’esmouuoir, prenoit party d’approuuer tout ce qu’il disoit, et d’y consentir luy ne pouuant souffrir son chagrin, se passer ainsi sans aliment : Nie moy quelque chose, de par les Dieux, dit-il, affin que nous soyons deux. Elles de mesmes, ne se courroucent, qu’affin qu’on se contre-courrouce, à l’imitation des loix de l’amour. Phocion à vn homme qui luy troubloit son propos, en l’iniuriant asprement, n’y fit autre chose que se taire, et luy donner tout loisir d’espuiser sa cholere cela faict, sans aucune mention de ce trouble, il recommença son propos, en l’endroict où il l’auoit laissé. Il n’est replique si piquante comme est vn tel mespris.Du plus cholere homme de France (et c’est tousiours imperfection, mais plus excusable à vn homme militaire : car en cet exercice il y a certes des parties, qui ne s’en peuuent passer) ie dy souuent, que c’est le plus patient homme que ie cognoisse à brider sa cholere : elle l’agite de telle violence et fureur,

Magno veluti cùm flamma sonore
Virgea suggeritur costis vndantis aheni,
Exultantque æstu latices, furit intus aquai
Fumidus atque altè spumis exuberat amnis,
Nec iam se capit vnda, volat vapor ater ad auras,

qu’il faut qu’il se contraingne cruellement, pour la moderer. Et pour moy, ie ne sçache passion, pour laquelle couurir et soustenir, ie peusse faire vn tel effort. Ie ne voudrois mettre la sagesse à si haut prix. Ie ne regarde pas tant ce qu’il fait, que combien il luy couste à ne faire pis. Vn autre se vantoit à moy, du reglement et douceur de ses mœurs, qui est, à la verité singuliere : ie luy disois, que c’estoit bien quelque chose, notamment à ceux, comme luy, d’eminente qualité, sur lesquels chacun a les yeux, de se presenter au monde tousiours bien temperez : mais que le principal estoit de prouuoir au dedans, et à soy-mesme : et que ce n’estoit pas à mon