Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/669

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morts ou blessés, ils avaient rendu la liberté à tous leurs esclaves ; pour manœuvrer leurs machines de guerre, ils avaient du couper les cheveux à toutes les femmes, pour en tresser des cordes ; à cela se joignait une excessive disette de vivres, et, malgré tout, ils étaient résolus à ne jamais se rendre. Leur résistance avait déjà fait traîner considérablement le siège en longueur et Octavius en était devenu plus négligent ; sa vigilance s’était ralentie, lorsque les assiégés ayant choisi leur jour, après avoir placé les femmes et les enfants sur les remparts pour qu’ils ne parussent pas dégarnis, vers midi, exécutèrent une sortie avec une telle furie, qu’ils enfoncent la première ligne des postes des assiégeants, puis la seconde, la troisième, la quatrième, toutes enfin ; ils les contraignent à abandonner leurs tranchées et leur donnent la chasse, les obligeant à regagner leurs navires et à s’y renfermer ; Octavius lui-même s’enfuit jusqu’à Dyrrachium, où se trouvait Pompée. Je n’ai pas présentement en mémoire d’autre exemple d’assiégés battant le gros des assiégeants et demeurant maîtres de la campagne ni d’autre sortie qui ait eu pour conséquence une victoire aussi nette et aussi complète que si elle était résultée d’une bataille rangée.

CHAPITRE XXXV.

Trois femmes vraiment bonnes.

Quelques épigrammes de Montaigne contre les femmes de son siècle qui ne témoignent leur affection à leurs maris que quand ils sont morts. — Les femmes vraiment bonnes ne se comptent pas par douzaines, comme chacun sait ; notamment quand on les envisage au point de vue des devoirs du mariage, car c’est là un marché entouré de tant de circonstances épineuses qu’il est difficile que la volonté d’une femme l’observe longtemps dans son entier ; les hommes eux-mêmes ont bien de la peine à s’y faire, quoique se trouvant pour cela dans d’un peu meilleures conditions. La pierre de touche d’un bon mariage est dans la manière dont on a vécu tant qu’on est demeuré ensemble ; il n’a été vraiment tel, que si l’union a été constamment douce, loyale et facile. — En notre siècle, les femmes réservent assez communément leurs bonnes grâces et les marques d’une violente affection envers leurs maris, pour quand elles les ont perdus ; elles cherchent alors, par cet étalage, à montrer combien étaient grands les sentiments qu’elles leur portaient ; manifestation tardive et hors de saison ! Par là elles témoignent plutôt qu’elles ne