Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/678

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leur, et te console en la cognoissance, que tu as eu de moy, et de mes actions, conduisant le reste de ta vie, par les honnestes occupations, ausquelles tu és addonnée. A quoy Paulina ayant vn peu repris ses esprits, et reschauffé la magnanimité de son courage, par vne tres-noble affection : Non Seneca, respondit-elle, ie ne suis pas pour vous laisser sans ma compagnie en telle necessité : ie ne veux pas que vous pensiez, que les vertueux exemples de vostre vie, ne m’ayent encore appris à sçauoir bien mourir : et quand le pourroy-ie ny mieux, ny plus honnestement, ny plus à mon gré qu’auecques vous ? ainsi faictes estat que ie m’en voy quant et vous. Lors Seneque prenant en bonne part vne si belle et glorieuse deliberation de sa femme ; et pour se deliurer aussi de la crainte de la laisser apres sa mort, à la mercy et cruauté de ses ennemis le t’auoy, Paulina, dit-il, conseillé ce qui seruoit à conduire plus heureusement ta vie : tu aymes donc mieux l’honneur de la mort vrayement ie ne te l’enuieray point : la constance et la resolution, soyent pareilles à nostre commune fin, mais la beauté et la gloire soit plus grande de ta part. Cela fait, on leur couppa en mesine temps les veines des bras : mais par ce que celles de Seneque reserrées tant par la vieillesse, que par son abstinence, donnoyent au sang le cours trop long et trop lasche, il commanda qu’on luy couppast encore les veines des cuisses : et de peur que le tourment qu’il en souffroit, n’attendrist le cœur de sa femme, et pour se deliurer aussi soy-mesme de l’affliction, qu’il portoit de la veoir en si piteux estat : apres auoir tres-amoureusement pris congé d’elle, il la pria de permettre qu’on l’emportast en la chambre voisine, comme on feit. Mais toutes ces incisions estans encore insuffisantes pour le faire mourir, il commande à Statius Anneus son medecin, de luy donner vn breuuage de poison ; qui n’eut guere non plus d’effect car par la foiblesse et froideur des membres, elle ne peut arriuer iusques au cœur. Par ainsin on luy fit en outre apprester vn baing fort chauld : et lors sentant sa fin prochaîne, autant qu’il eut d’halene, il continua des discours tres-excellens sur le subiect de l’estat où il se trouuoit, que ses secretaires recueillirent tant qu’ils peurent ouyr sa voix ; et demeurerent ses parolles dernieres long temps depuis en credit et honneur, és mains des hommes : ce nous est vne bien fascheuse perte, qu’elles ne soyent venues iusques à nous. Comme il sentit les derniers traicts de la mort, prenant de l’eau du baing toute sanglante, il en arrousa sa teste, en disant ; le voue cette cau à Iuppiter le liberateur. Neron aduerty de tout cecy, craignant que la mort de Paulina, qui estoit des mieux apparentées dames Romaines, et enuers laquelle il n’auoit nulles particulieres inimitiez, luy vinst à reproche ; renuoya en toute diligence luy faire r’atacher ses playes : ce que ses gens d’elle, firent sans son sçeu, estant desia demy morte, et sans aucun sentiment. Et ce que contre son dessein, elle