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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/102

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leurs accords : Vous nous pouuez commander des charges poisantes et dommageables, autant qu’il vous plaira mais de honteuses, et deshonnestes, vous perdrez vostre temps de nous en commander. Chacun doit auoir iuré à soy mesme, ce que les Roys d’Ægypte faisoient solennellement iurer à leurs iuges, qu’ils ne se desuoyeroient de leur conscience, pour quelque commandement qu’eux mesmes leur en fissent. A telles commissions il y a note euidente d’ignominie, et de condemnation. Et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l’entendez bien, en charge et en peine. Autant que les affaires publiques s’amendent de vostre exploict, autant s’en empirent les vostres vous y faictes d’autant pis, que mieux vous y faictes. Et ne sera pas nouueau, ny à l’auanture sans quelque air de iustice, que celuy mesmes vous ruïne, qui vous aura mis en besongne.Si la trahison doit estre en quelque cas excusable lors seulement elle l’est, qu’elle s’employe à chastier et trahir la trahison. Il se trouue assez de perfidies, non seulement refusees, mais punies, par ceux en faueur desquels elles auoient esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius, à l’encontre du medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouue : que tel l’a commandee, qui par apres l’a vengee rigoureusement, sur celuy qu’il y auoit employé refusant vn credit et pouuoir si effrené, et desaduouant vn seruage et vne obeïssance si abandonnee, et si lasche. laropelc Duc de Russie, practiqua vn Gentilhomme de Hongrie, pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus, en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy-cy s’y porta en galand homme : s’addonna plus que deuant au seruice de ce Roy, obtint d’estre de son conseil, et de ses plus feaux. Auec ces aduantages, et choisissant à point l’opportunité de l’absence de son maistre, il trahit aux Russiens Visilicie, grande et riche cité qui fut entierement saccagee, et arse par eux, auec occision totale, non seulement des habitans d’icelle, de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour, qu’il y auoit assemblé à ces fins. Iaropele assouuy de sa vengeance, et de son courroux, qui pourtant n’estoit pas sans tiltre, (car Boleslaus l’auoit fort offencé, et en pareille conduitte) et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nue et seule, et la regarder d’vne veuë saine, et non plus troublee par sa passion, la print à vn tel remors, et contre-cœur, qu’il en fit creuer les yeux, et couper la langue, et les parties honteuses, à son executeur.Antigonus persuada les sol-