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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/118

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sans pierre, ou chose semblable, que de bastir des liures sans science ? Les fantasies de la musique, sont conduites par art, les miennes par sort. Aumoins i’ay cecy selon la discipline, que iamais homme ne traicta subiect, qu’il entendist ne cogneust mieux, que ie fay celuy que i’ay entrepris et qu’en celuy là ie suis le plus sçauant homme qui viue. Secondement, que iamais aucun ne penetra en sa matiere plus auant, ny en esplucha plus distinctement les membres et suittes : et n’arriua plus exactement et plus plainement, à la fin qu’il s’estoit proposé à sa besongne. Pour la parfaire, ie n’ay besoing d’y apporter que la fidelité : celle-là y est, la plus sincere et pure qui se trouue. Ie dy vray, non pas tout mon saoul : mais autant que ie l’ose dire. Et l’ose vn peu plus en vieillissant car il semble que la coustume concede à cet aage, plus de liberté de bauasser, et d’indiscretion à parler de soy. Il ne peut aduenir icy, ce que ie voy aduenir souuent, que l’artizan et sa besongne se contrarient. Vn homme de si honneste conuersation, a-t-il faict vn si sot escrit ? Ou, des escrits si sçauans, sont-ils partis d’vn homme de si foible conuersation ? Qui a vn entretien commun, et ses escrits rares c’est à dire, que sa capacité est en lieu d’où il l’emprunte, et non en luy. Vn personnage sçauant n’est pas sçauant par tout. Mais le suffisant est par tout suffisant, et à ignorer mesme. Icy nous allons conformément, et tout d’vn train, mon liure et moy. Ailleurs, on peut recommander et accuser l’ouurage, à part de l’ouurier icy non qui touche l’vn, touche l’autre. Celuy qui en iugera sans le congnoistre, se fera plus de tort qu’à moy : celuy qui l’aura cogneu, m’a du tout satisfaict. Heureux outre mon merite, si i’ay seulement cette part à l’approbation publique, que ie face sentir aux gens d’entendement, que i’estoy capable de faire mon profit de la science, si i’en eusse eu et que ie meritoy que la memoire me secourust mieux.Excusons icy ce que ie dy souuent, que ie me repens rarement, et que ma conscience se contente de soy : non comme de la conscience d’vn ange, ou d’vn cheual, mais comme de la conscience d’vn homme. Adioustant tousiours ce refrein, non vn refrein de ceremonie, mais de naifue et essentielle submission : Que ie parle enquerant el ignorant, me rapportant de la resolution, purement et simplement, aux creances communes et legitimes. Ie n’enseigne point, ie raconte.Il n’est vice veritablement vice, qui