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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/134

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à moy, ie puis desirer en general estre autre : ie puis condamner et me desplaire de ma forme vniuerselle, et supplier Dieu pour mon entiere reformation, et pour l’excuse de ma foiblesse naturelle mais cela, ie ne le doibs nommer repentir, ce me semble, non plus que le desplaisir de n’estre ny Ange ny Caton. Mes actions sont reglees, et conformes à ce que ie suis, et à ma condition. Ie ne puis faire mieux et le repentir ne touche pas proprement les choses qui ne sont pas en nostre force ouy bien le regret. I’imagine infinies natures plus hautes et plus reglees que la mienne. Ie n’amende pourtant mes facultez comme ny mon bras, ny mon es— prit, ne deuiennent plus vigoureux, pour en conceuoir vn autre qui le soit. Si l’imaginer et desirer vn agir plus noble que le nostre, produisoit la repentance du nostre, nous aurions à nous repentir de nos operations plus innocentes d’autant que nous iugeons bien qu’en la nature plus excellente, elles auroyent esté conduictes d’vne plus grande perfection et dignité et voudrions faire de mesme. Lors que ie consulte des deportemens de ma ieunesse auec ma vieillesse, ie trouue que ie les ay communement conduits auec ordre, selon moy. C’est tout ce que peut ma resistance. Je ne me flatte pas à circonstances pareilles, ie seroy tousiours tel. Ce n’est pas macheure, c’est plustost vne teinture vniuerselle qui me tache. Ie ne cognoy pas de repentance superficielle, moyenne, et de ceremonie. Il faut qu’elle me touche de toutes parts, auant que ie la nomme ainsin et qu’elle pinse mes entrailles, et les afflige autant profondement, que Dieu me voit, et autant vniuersellement.Quand aux negoces, il m’est eschappé plusieurs bonnes auantures, à faute d’heureuse conduitte : mes conseils ont pourtant bien. choisi, selon les occurrences qu’on leur presentoit. Leur façon est de prendre tousiours le plus facile et seur party. Ie trouue qu’en mes deliberations passees, i’ay, selon ma regle, sagement procedé, pour l’estat du subiect qu’on me proposoit : et en ferois autant d’icy à mille ans, en pareilles occasions. Ie ne regarde pas, quel il est à cette heure, mais quel il estoit, quand i’en consultois. La force de tout conseil gist au temps les occasions et les matieres roulent et changent sans cesse. l’ay encouru quelques lourdes erreurs en ma vie, et importantes : non par faute de bon aduis, mais par faute de bon heur. Il y a des parties secrettes aux obiects, qu’on manie, et indiuinables : signamment en la nature des hom-