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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/221

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lascives qu’il a écrites ? Je laisse de côté les ouvrages des philosophes de l’école d’Epicure, qui était favorable à la volupté et la prônait. — Aux temps anciens, cinquante divinités étaient préposées à cet acte, et il a existé une nation où, pour endormir la concupiscence de ceux qui venaient faire leurs dévotions, on avait dans les temples des filles[1] et des garçons dont on pouvait se procurer la jouissance ; il entrait dans le cérémonial du culte, d’en user avant d’approcher des autels : « Parce que l’incontinence est nécessaire pour observer la continence, et que l’incendie s’éteint par le feu. »

Dans l’antiquité, les organes de la génération étaient déifiés ; aujourd’hui comme alors, tout, du fait de l’homme comme de celui de la nature, rappelle constamment l’amour aux yeux de chacun. — Dans la majeure partie du monde, cette pièce de notre corps était déifiée ; dans une contrée, il y en avait qui se l’écorchaient pour en offrir et en consacrer quelque parcelle à la divinité, tandis que c’était leur semence que d’autres offraient et consacraient. Dans une autre région, les jeunes gens se la perçaient en public et, dans les ouvertures ainsi pratiquées, introduisaient, entre la peau et la chair, des broches en bois, les plus longues et les plus grosses qu’ils pouvaient endurer, qu’ils brûlaient ensuite en holocauste à leurs dieux ; ceux qui tressaillaient sous l’intensité de cette cruelle douleur, étaient jugés n’être ni vigoureux, ni chastes. Ailleurs, la désignation du grand pontife et la considération dont il jouissait, étaient basées sur la dimension de cet organe, dont l’effigie, dans les cérémonies en l’honneur de certaines divinités, était promenée en grande pompe. — En Égypte, à la fête des Bacchanales, les dames en portaient au cou une image en bois d’une grande richesse d’ornementation, de fortes proportions et lourde suivant la force de chacune ; en outre, la statue du dieu en présentait un qui excédait presque en dimension le reste du corps. — Près de nous, les femmes mariées en font prendre, sur leur front, la forme à leur voilette, pour se glorifier de la jouissance qu’elles en ont ; et si elles deviennent veuves, elles le rejettent en arrière sous leur coiffure où il se perd. — À Rome, les matrones les plus sages tenaient à honneur d’offrir des fleurs et des couronnes au dieu Priape ; et, le jour de leurs noces, on faisait asseoir celles qui étaient vierges sur les parties les moins honnêtes de sa statue. — Je ne sais trop si, de nos jours, on ne peut relever certaines pratiques se rattachant à cette même dévotion ? Quelle signification avait cette pièce ridicule des hauts de chausses ou culotte de nos pères, qui se voit encore dans ceux que portent nos Suisses ? Dans quel but, à l’heure actuelle, faisonsnous que, sous ce vêtement, nos parties génitales se dessinent d’une façon si apparente et, ce qui est pire, accroissant souvent par artifice et imposture leur dimension naturelle ? Je suis porté à croire que cette disposition a été inventée dans des siècles meilleurs où régnait plus de bonne foi qu’aujourd’hui, pour ne tromper per-

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