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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/223

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sonne et que chacun apparut en public tel qu’il était, comme il arrive encore chez les peuples de mœurs plus simples, qui portent des vêtements accusant dans leur réalité les formes des parties qu’elles recouvrent, ce qui permettait d’apprécier l’ouvrier par ce dont il semblait capable, comme sous d’autres rapports nous le jugeons d’après les proportions de son bras ou de son pied. — Ce bonhomme qui, au temps de ma jeunesse, fit, dans sa capitale, chàtrer tant de belles et antiques statues, pour qu’elles ne blessent pas la vue, appliquant cette maxime de cet autre non moins pudibond de l’antiquité : « C’est une cause de déréglements, que d’étaler en public des nudités (Ennius) », eût dù s’aviser aussi que, comme dans la célébration des mystères de la bonne déesse d’où tout ce qui rappelait le sexe masculin était banni, cela ne l’avançait en rien, s’il ne faisait encore châtrer les chevaux, les ânes, toute la nature enfin « Sur la terre, les hommes, les bétes fauves, les animaux domestiques ; dans l’eau, les poissons ; dans l’air, les oiseaux aux mille couleurs, tout brûle, tout éprouve les fureurs de l’amour (Virgile). » Les dieux, dit Platon, nous ont pourvus d’un membre qui ne connaît pas l’obéissance et qui nous tyrannise ; qui, comme un animal furieux, prétend, dans la violence de ses appétits, tout soumettre à lui ; les femmes ont pareillement le leur qui, à la façon d’un animal glouton et avide, délire quand on lui refuse des aliments alors que le moment de lui en donner est venu, et ne souffre pas qu’on le fasse attendre ; il fait passer en leur corps la rage qui l’anime, il en trouble le fonctionnement, arrête la respiration, est cause de mille maux de toutes sortes, jusqu’à ce qu’ayant aspiré le fruit de la soif commune qui dévore et l’homme et la femme, il en ait largement arrosé et ensemencé le fond de la matrice.

Mieux vaudrait renseigner de bonne heure la femme sur les choses de l’amour que de laisser son imagination travailler ; en somme, dans toutes les règles qu’il a édictées à ce sujet, l’homme n’a que lui-même en vue. — Ce même législateur, qui ordonna cet acte de vandalisme, eut bien dù s’aviser aussi que ce serait peut-être une mesure plus chaste et d’un résultat plus certain, de renseigner de bonne heure les femmes sur ce qui en est, plutôt que de laisser leur esprit livré à lui-même et, plus ou moins échauffé, chercher à deviner ; le désir, l’espérance leur font substituer à la réalité des conceptions trois fois plus extravagantes ; j’ai connu quelqu’un qui s’est perdu, pour avoir fait en lui la découverte de ce don de la nature en un lieu où il ne convenait pas d’en user dans toute la mesure où, en vue du rôle auquel il est destiné, nous en avons la possibilité. — Que de mal font ces images monstrueuses que les enfants en tracent sur les murs et les portes des édifices publics ! cela induit la femme à un cruel mépris à notre égard quand elle constate la disproportion avec ce dont la nature nous a gratifiés. Sait-on si Platon n’a pas été guidé par cette considération quand, à l’instar d’autres répu-