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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/235

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La chasteté est-elle chez la femme une question de volonté ? Pour réussir auprès d’elles tout dépend des occasions, et il faut savoir oser ; du reste, ce que nous entendons leur interdire est assez mal défini. — La chasteté est un devoir susceptible d’une grande extension. Est-ce par exemple la volonté de la femme que, par elle, nous cherchons à maitriser ? Si c’est sa volonté sa souplesse, sa soudaineté font qu’elle est beaucoup trop prompte à exécuter ce qu’elle conçoit, pour que la chasteté ait possibilité de l’arrêter. Un songe suffit pour l’engager au point qu’elle ne peut se dédire. Il n’est pas en son pouvoir de se défendre par elle-même contre les concupiscences et les désirs, même avec l’aide de la chasteté qui, elle aussi du sexe féminin, est de ce fait en butte aux mêmes assauts. Si, seule, sa volonté nous importe, où cela nous conduit-il ? Supposez quelqu’un de nous, sans yeux ni langue, ayant le don de se trouver à point nommé, ne voyant pas, ne parlant pas, dans la couche de toute femme disposée à lui faire bon accueil ; avec quel empressement elles le rechercheraient ! Les femmes scythes ne crevaient-elles pas les yeux à leurs esclaves et à leurs prisonniers de guerre, pour pouvoir en user plus librement et sans être reconnues. — Oh ! quel immense avantage que de savoir profiter de l’occasion. À qui me demanderait ce qui importe le plus en amour, je répondrais que c’est tout d’abord de savoir saisir le moment opportun ; en second lieu cela encore, et, en troisième lieu toujours cela. C’est de là que tout dépend. Il m’est arrivé souvent de manquer une bonne fortune ; parfois, pour n’avoir pas été assez entreprenant ; que Dieu garde de tout mal quiconque, à cet égard, en est encore à se moquer de moi ! En ce siècle, il faut plus de témérité que je n’en ai, témérité dont les jeunes gens s’excusent en la mettant sur le compte de la chaleur qui les transporte, mais que, si elles y regardaient de près, les femmes reconnaîtraient provenir plutôt du mépris qu’on a pour leur vertu. C’était une superstition chez moi que de craindre de les offenser, car je suis porté à respecter ce que j’aime ; de plus, indépendamment de ce qu’en pareille circonstance un manque de respect déprécie la faveur qui nous est faite, j’aime qu’on s’y comporte un peu comme un enfant, qu’on se montre timide et qu’on soit aux petits soins. — J’ai d’ailleurs, sinon toute, du moins quelque peu de cette honte qui est sottise dont parle Plutarque, et j’ai eu à en pàtir et à le regretter sous maints rapports dans le cours de ma vie ; c’est là un défaut qui s’accorde assez mal avec ma nature en général, mais ne sommes-nous pas un composé de sentiments et d’idées en perpétuelle contradiction ? J’ai de la peine quand j’éprouve un refus, comme aussi lorsque c’est moi qui refuse ; il m’en coûte tant de causer de la contrariété à autrui, que dans les occasions où c’est un devoir pour moi d’essayer de décider quelqu’un à une chose qui lui est pénible et où l’hésitation est permise, je n’insiste que faiblement et à contre-cœur. Dans les affaires de ce genre où je suis directement intéressé, bien qu’Homère dise avec -