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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/239

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moins une femme vicieuse lorsqu’elle ne dissimule pas ses vices (Martial). » Il est des actes qui peuvent les déflorer, sans qu’il y ait impudicité de leur part, et qui plus est, sans qu’elles s’en doutent : « Il est telle sage-femme qui, en inspectant de la main si une jeune fille est vierge, lui en fait perdre le caractère, soit sciemment, soit inconsciemment, soit par accident (S. Augustin) » ; cela est arrivé à des jeunes filles cherchant à se rendre compte, à d’autres en se jouant. Nous ne saurions circonscrire avec précision ce que nous leur défendons, nous ne pouvons formuler nos exigences que d’une façon vague et générale ; parfois même, l’idée que nous nous faisons de leur chasteté est ridicule. Parmi les exemples les plus singuliers que j’en puis donner, je citerai celui de Fatua femme de Faunus, qui, après ses noces, ne laissa plus apercevoir ses traits par aucun homme, et celui de la femme de Hiéron qui ne s’apercevait pas que son mari exhalait par le nez une odeur désagréable, s’imaginant que c’était là une particularité commune à tous les hommes. Pour que nous ayons satisfaction, il faudrait qu’elles devinssent insensibles et invisibles.

C’est d’après l’intention qu’il faut juger si la femme manque ou non à ses devoirs ; son infidélité ne peut toujours lui être reprochée ; et puis, quel profit retirons-nous de prendre trop de souci de la sagesse de nos femmes ? — Reconnaissons donc que c’est principalement d’après l’intention qu’il faut juger s’il y a, ou non, manquement à ce devoir. Il y a des maris qui ont éprouvé ce genre d’infortune, non seulement sans le reprocher à leur femme, sans y voir d’offense de leur part, mais en leur en ayant une grande obligation, trouvant même, dans leur conduite, une confirmation de leur vertu : telle qui préférait l’honneur à la vie, s’est prostituée et livrée aux embrassements forcenés d’un ennemi mortel pour obtenir la vie de son mari, faisant pour lui ce qu’elle n’eût jamais fait pour elle-même. Ce n’est pas ici le moment d’en citer des exemples ; ils sont d’une nature trop élevée et trop riche pour prendre place dans ce cadre, réservons-les pour les produire en plus noble exposition. Mais, parmi ceux inspirés par des considérations plus vulgaires, ne voyons-nous pas tous les jours, autour de nous, des femmes qui se prêtent pour simplement être utiles à leurs maris, parfois sur leur ordre exprès et par leur entremise ? Dans l’antiquité Phaulius d’Argos offrit la sienne par ambition au roi Philippe ; et, par civilité, un certain Galba, qui avait donné à souper à Mécène et voyait sa femme et son hôte commencer à se faire les yeux doux et échanger des signes d’intelligence, se laissa aller sur son coussin, feignant d’être accablé de sommeil, pour se prêter à leurs amours ; ce qu’il avoua du reste d’assez bonne grâce, car un valet ayant été assez osé pour, à ce moment, faire main basse sur les vases qui étaient sur la table, il lui cria sans ambages : « Comment, coquin ! tu ne vois donc pas que ce n’est que pour Mécène, que je suis endormi ? » — Il y a des fenimes de mœurs légères, dont la volonté est moins contaminée -