Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/30

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suyuant comme son ombre par tout où il guidast, la prospérité de son pays mourut aussi luy mort, comme elle estoit née par luy.

CHAPITRE XXXVII.

De la ressemblance des enfans aux pères.


Ce fagotage de tant de diuerses pièces, se faict en cette condition, que ie n’y mets la main, que lors qu’vne trop lasche oysiueté me presse, et non ailleurs que chez moy. Ainsin il s’est basty à diuerses poses et interualles, comme les occasions me détiennent ailleurs par fois plusieurs moys. Au demeurant, ie ne corrige point mes premières imaginations par les secondes, ouy à l’auenture quelque mot : mais pour diuersifier, non pour oster. Ie veux représenter le progrez de mes humeurs, et qu’on voye chasque pièce en sa naissance, le prendrois plaisir d’auoir commencé plustost, et à recognoistre le train de mes mutations. Vn valet qui me seruoit à les escrire soubs moy, pensa faire vn grand butin de m’en desrobcr plusieurs pièces choisies à sa poste. Cela me console, qu’il n’y fera pas plus de gain, que i’y ay fait de perte.Ie me suis enuieilly de sept ou huict ans depuis que ie commençay. Ce n’a pas esté sans quelque nouuel acquest. l’y ay pratiqué la colique, par la libéralité des ans : leur commerce et longue conucrsation, ne se passe aysément sans quelque tel fruit. Ie voudroy bien, de plusieurs autres prcsens, qu’ils ont à faire, à ceux qui les hantent long temps, qu’ils en eussent choisi quelqu’vn qui m’eust esté plus acceptable : car ils ne m’en eussent seu faire, que l’eusse en plus grande horreur, des mon enfance. C’estoit à poinct nommé, de tous les accidens de la vieillesse, celuy que ie craignois le plus.I’auoy pensé mainte-fois à part moy, que i’alloy trop auant : et qu’à faire vn si long chemin, le ne faudroy pas de m’engager en fin, en quelque malplaisant rencontre. Ie sentois et protestois assez, qu’il estoit heure de partir, et qu’il falloit trencher la vie dans le vif, et dans le sein, suyuant la règle des chirurgiens, quand ils oui à coupper quelque membre. C}u’à celuy, qui ne la rendoit à temps,