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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/309

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bien s’élèverait son trésor, s’il eût été plus parcimonieux. Ce dernier eut l’idée de justifier ses libéralités et, dépêchant dans toutes les directions aux grands de ses états envers lesquels il avait été particulièrement généreux, il pria chacun, pour lui venir en aide et le tirer d’un mauvais pas, de lui envoyer tout l’argent dont il pourrait disposer et de l’aviser de ce qu’il serait en mesure de lui donner. Quand toutes les réponses furent arrivées, il se trouva que tous ses amis, ayant estimé que ce n’était pas assez de ne lui offrir que la somme, qu’ils avaient reçue de sa munificence, y avaient ajouté beaucoup de leurs propres deniers, et que le total dépassait considérablement l’économie qui, au dire de Crésus, aurait pu être faite. Là-dessus, Cyrus lui dit : « Je n’aime pas moins les richesses que les autres princes, mais je crois les mieux administrer ; voyez à combien peu me revient ce trésor inestimable que me constituent tant d’amis, qui me sont de plus sûrs trésoriers que ne seraient des mercenaires qui ne m’auraient pas d’obligation et ne me porteraient pas affection ; ma fortune est mieux gardée par eux que dans mes coffres qui m’attireraient la haine, l’envie et le mépris des autres princes. »

On pouvait, à Rome, excuser la pompe des spectacles tant que ce furent des particuliers qui en faisaient les frais, mais non quand ce furent les empereurs, parce que c’était alors les deniers publics qui en supportaient la dépense. — Les empereurs romains avaient pour excuse de leur profusion en fait de jeux et spectacles publics, que leur autorité dépendait en quelque sorte (du moins en apparence) de la volonté du peuple qui, de tout temps, avait l’habitude d’être flatté au moyen de ce genre de divertissements développés à l’excès. Dans le principe, c’étaient les particuliers qui avaient établi et entretenu cette coutume de gratifier leurs concitoyens et leurs compagnons de ces magnificences exagérées, dont ils supportaient la majeure partie des frais ; le caractère de ces réjouissances publiques changea, quand, par imitation, ce furent ceux qui étaient devenus les maîtres qui les donnèrent : « Le don fait à des étrangers d’un argent pris à autrui, ne doit pas être considéré comme une libéralité (Cicéron). » — Philippe écrivait en ces termes à son fils, pour lui faire reproche de chercher à gagner l’attachement des Macédoniens par des présents : « As-tu donc envie que tes sujets te prennent pour le détenteur de leur bourse, au lieu que tu sois leur roi ? Si tu veux te les attacher, amène-les à toi par les bienfaits de tes vertus et non par ceux de ton coffre-fort. »

Description de ces étranges spectacles ; ce que l’on doit le plus en admirer, c’est moins leur magnificence, que l’invention et les moyens d’exécution qui dénotent dans les arts un degré auquel nous n’atteignons pas. — C’était cependant une belle chose que de transporter et de dresser sur les arènes quantité de gros arbres, avec toutes leurs branches et leur verdure, qui, bien symétriquement disposés, représentaient une