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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/324

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iamais des ames si barbares, qui pour la doubteuse information de quelque vase d’or à piller, fissent griller deuant leurs yeux vn homme : non qu’vn Roy, si grand, et en fortune, et en merite) mais ce fut que sa constance rendoit de plus en plus honteuse leur cruauté. Ils le pendirent depuis, ayant courageusement entrepris de se deliurer par armes d’vne si longue captiuité et subiection : où il fit sa fin digne d’vn magnanime Prince.À vne autre fois ils mirent brusler pour vn coup, en mesme feu, quatre cens soixante hommes tous vifs, les quatre cens du commun peuple, les soixante des principaux seigneurs d’vne prouince, prisonniers de guerre simplement. Nous tenons d’eux-mesmes ces narrations : car ilz ne les aduouent pas seulement, ils s’en ventent, et les preschent. Seroit-ce pour tesmoignage de leur iustice, ou zele enuers la religion ? Certes ce sont voyes trop diuerses, et ennemies d’vne si saincte fin. S’ils se fussent proposés d’estendre nostre foy, ils eussent consideré que ce n’est pas en possession de terres qu’elle s’amplifie, mais en possession d’hommes et se fussent trop contentez des meurtres que la necessité de la guerre apporte, sans y mesler indifferemment vne boucherie, comme sur des bestes sauuages : vniuerselle, autant que le fer et le feu y ont peu attaindre n’en ayant conserué par leur dessein, qu’autant qu’ils en ont voulu faire de miserables esclaues, pour l’ouurage et seruice de leurs minieres. Si que plusieurs des chefs ont esté punis à mort, sur les lieux de leur conqueste, par ordonnance des Roys de Castille, iustement offencez de l’horreur de leurs deportemens, et quasi tous desestimez et mal-voulus. Dieu a meritoirement permis, que ces grands pillages se soient absorbez par la mer en les transportant : ou par les guerres intestines, dequoy ils se sont mangez entre-eux et la plus part s’enterrerent sur les lieux, sans aucun fruict de leur victoire.Quant à ce que la recepte, et entre les mains d’vn Prince mesnager, et prudent, respond si peu à l’esperance, qu’on en donna à ses predecesseurs, et à cette premiere abondance de richesses, qu’on rencontra à l’abord de ces nouvelles terres (car encore qu’on en retire beaucoup, nous voyons que ce n’est rien, au prix de ce qui s’en deuoit attendre) c’est que l’vsage de la monnoye estoit entierement incognu, et que par consequent, leur or se trouua tout assemblé, n’estant en autre seruice, que de montre, et de parade, comme vn meuble reserué de pere en fils, par plusieurs puissants Roys, qui espuisoient tousiours leurs mines, pour faire ce grand monceau de