Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/339

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pis, si pis il y a, ont été en crédit par suite de mauvais exemples, plus dangereux encore que celui donné par les flatteurs de Mithridate qui, parce que leur maître prétendait à l’honneur d’être bon médecin, se faisaient inciser et cautériser les membres par lui ; les autres, c’est leur âme, partie autrement plus délicate et plus noble, qu’ils souffrent se voir cautérisée.

Pour achever par où j’ai commencé, je rappellerai que l’empereur Adrien discutant avec le philosophe Favorinus sur l’interprétation à donner à un mot, celui-ci ayant cédé assez promptement et ses amis le lui reprochant : « Vous vous moquez, leur dit-il ; vous voudriez qu’il ne soit pas plus savant que moi, lui qui commande à trente légions ! » — Auguste avait écrit des vers contre Asinius Pollion : « Quant à moi, dit Pollion, je me tais : il n’est pas sage d’écrire à l’encontre de qui peut proscrire. » — Tous deux avaient raison ; Denys, parce qu’il n’avait pu égaler Philoxène en poésie et Platon dans ses raisonnements, condamna l’un aux carrières et fit vendre l’autre comme esclave dans l’ile d’Égine.

CHAPITRE VIII.

De la conversation.

En punissant les coupables, la justice ne saurait avoir d’autre but que d’empêcher les autres hommes de commettre les mêmes fautes ; c’est ainsi que l’aveu que Montaigne fait de ses défauts, doit servir à corriger les autres. — C’est un usage de nos procédés judiciaires de condamner des gens, pour que cela serve d’avertissement aux autres. Les condamner uniquement parce qu’ils ont failli, serait, comme dit Platon, une ineptie, parce que ce qui est fait ne peut se défaire ; aussi les condamne-t-on pour qu’ils ne commettent pas à nouveau la même faute, ou qu’on ne suive pas l’exemple qu’ils ont donné ; pendre quelqu’un ne le corrige pas, ce sont les autres qui sont corrigés par ce qui lui arrive. — Je fais de même : parmi mes erreurs, il y en a qui sont naturelles et qui ne peuvent être ni corrigées ni réparées ; et, tandis que les honnêtes gens servent la cause publique en provoquant à les imiter, je la sers peut-être aussi en montrant ce qui, en moi, est à éviter : « Ne voyez-vous pas que le fils d’Albus vit mal et que Barrus est dans la misère ? Leur exemple doit nous instruire à ne pas dissiper notre patrimoine (Horace) » ; en publiant et accusant mes imperfections, il se trouvera des gens qui apprendront à les redouter. — Les points que j’apprécie le plus en moi tirent plus d’honneur de ce qu’ils constituent contre moi des chefs