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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/375

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taines de bêtise ; est-il rien de plus affirmatif, résolu, dédaigneux, contemplatif, grave et sérieux que l’âne ?

Les causeries familières à bâtons rompus ont aussi leurs charmes ; les propos vifs, les reparties hardies, forment le caractère et peuvent parfois nous éclairer sur nos défauts. — Ne pouvons-nous pas comprendre dans ce chapitre afférent aux conversations et échanges d’idées, les causeries familières où il se fait assaut d’esprit et où les propos vont se succédant sans suite, auxquelles on se livre dans l’intimité, entre amis heureux de se trouver ensemble, riant et se moquant plaisamment et avec verve les uns des autres ? C’est un exercice qui convient assez à ma gaité naturelle ; s’il n’est pas aussi sérieux et ne réclame pas une aussi forte tension d’esprit que celui dont nous avons parlé jusqu’ici, il n’en a pas moins du piquant, tient l’esprit en éveil et a des avantages ; c’était aussi l’opinion de Lycurgue. En ce qui me touche, j’y apporte plus de laisser aller que d’esprit, et plus de bonheur que d’imagination ; du reste, je supporte très bien les coups que l’on me porte et endure, sans que cela altère mon humeur, les revanches que l’on peut prendre sur moi, si rudes qu’elles soient et lors même qu’elles dépassent les bornes ; et si, quand on s’attaque à moi, je ne suis pas à même de riposter sur-le-champ, je ne vais pas m’amusant et m’entêtant à discuter le coup, je n’y apporte ni humeur, ni mauvaise foi ; je le subis, m’y résignant avec bonne grâce, remettant d’en avoir raison à une heure meilleure il n’y a pas de marchand qui toujours fasse des bénéfices. Chez la plupart des gens, le visage et la voix s’altèrent quand la force vient à leur manquer ; et, par une colère déplacée, au lieu de se venger, ils ne font que témoigner tout à la fois de leur faiblesse et de leur impatience. Dans ces moments de surexcitation, nous actionnons parfois des cordes secrètes qui mettent en jeu nos imperfections auxquelles, si nous étions plus calmes, nous ne pourrions toucher sans que cela constitue une offense ; par là, nous nous rendons mutuellement le service de nous avertir de nos défauts.

Les jeux de main sont à proscrire ; ils dégénèrent trop souvent en voies de fait. — Il y a en France d’autres jeux en usage qui, violents et ne respectant rien, conduisent finalement à en venir aux mains ; ces jeux, je les hais mortellement, car j’ai la peau tendre et sensible ; dans ma vie, j’ai vu deux princes de la famille royale auxquels ils ont coûté la vie. Ce sont de vilains jeux que ceux où l’on finit par se battre.

Comment Montaigne s’y prenait pour juger d’une œuvre littéraire sur laquelle l’auteur le consultait ; sur les siennes, sur ses Essais, il était toujours hésitant bien plus que lorsqu’il s’agissait de celles des autres. — Quand je veux juger de quelqu’un, je lui demande dans quelle mesure il est satisfait de lui-même, jusqu’à quel point ce qu’il dit ou ce qu’il pense le contente. Je cherche à éviter qu’il use de faux-fuyants : » J’ai fait ceci en me jouant ; ce travail a été arraché du métier, alors qu’il