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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/390

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son. Il y a quelque commodité à commander, fust ce dans vne grange, et à estre obey des siens. Mais c’est vn plaisir trop vniforme et languissant. Et puis il est par necessité meslé de plusieurs pensements fascheux. Tantost l’indigence et l’oppression de vostre peuple : tantost la querelle d’entre vos voysins : tantost I’vsurpation qu’ils font sur vous, vous afflige :

Aut verberate grandine vines,
Fundusque mendax, arbore nunc aquas
Culpante, nunc torrentia agros
Sydera, nunc hyemes iniquas.

Et qu’à peine en six mois, enuoyera Dieu vne saison, dequoy vostre receueur se contente bien à plain et que si elle sert aux vignes, elle ne nuyse aux prez.

Aut nimiis torret feruoribus ætherius sol,
Aut subiti perimunt imbres, gelidæque pruinæ,
Flabraque ventorum violento turbine vexant.

loinct le soulier neuf, et bien formé, de cet homme du temps passé, qui vous blesse le pied. Et que l’estranger n’entend pas, combien il vous couste, et combien vous prestez, à maintenir l’apparence de cet ordre, qu’on void en vostre famille et qu’à l’auanture l’achetez vous trop cher.Ie me suis pris tard au mesnage. Ceux que Nature auoit fait naistre auant moy, m’en ont deschargé long temps. l’auois des-ja pris vn autre ply, plus selon ma complexion. Toutesfois de ce que i’en ay veu, c’est vn’occupation plus empeschante, que difficile. Quiconque est capable d’autre chose, le sera bien aysément de celle là. Si ie cherchois à m’enrichir, cette voye me sembleroit trop longue. l’eusse seruy les Roys, trafique plus fertile que toute autre. Puis que ie ne pretens acquerir que la reputation de n’auoir rien acquis, non plus que dissipé : conformément au reste de ma vie, impropre à faire bien et à faire mal qui vaille et que ie ne cherche qu’à passer, ie le puis faire, Dieu mercy, sans grande attention. Au pis aller, courez tousiours par retranchement de despence, deuant la pauureté. C’est à quoy ie m’attends, et de me reformer, auant qu’elle m’y force. I’ay estably au demeurant, en mon ame, assez de degrez, à me passer de moins, que ce que i’ay. Ie dis, passer auec contentement. Non estimatione census, verum victu atque cultu, terminatur pecuniæ modus. Mon vray besoing n’occupe pas si iustement tout mon auoir, que sans venir au vif, Fortune n’ait où mordre sur moy. Ma presence, toute ignorante et desdaigneuse qu’elle est, preste grande espaule à mes affaires domestiques. Ie m’y employe, mais despiteusement. Ioinct que l’ay cela chez moy,