Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rectifions aussi sottement que nous corrigeons les autres. J’ai vieilli de plusieurs années depuis mes premières publications qui ont vu jour en mil cinq cent quatre vingts, mais je doute m’être assagi de si peu que ce soit. Moi à cette heure et moi autrefois, sommes réellement deux ; quel est le meilleur ? en vérité, je ne saurais le dire. Il ferait bon de vieillir, si nous ne cessions d’aller nous améliorant ; mais nous n’avançons qu’à la façon des ivrognes, en titubant, en éprouvant des vertiges, sans direction définie, ou encore, semblables à des[1] joncs que l’air agite au gré de ses caprices. — Antiochus avait, dans ses écrits, pris vigoureusement parti pour l’Académie ; sur ses vieux ans, il se rangea du parti contraire ; quel que soit celui que j’aurais embrassé, n’eût-ce pas été suivre Antiochus ? Après avoir établi que nous devons douter de toutes les opinions humaines, vouloir établir que nous devons les tenir pour certaines, n’est-ce pas affirmer le doute et non la certitude, et donner à penser que si notre vie devait se prolonger, notre imagination, toujours en proie à de nouvelles agitations, en deviendrait non pas meilleure, mais différente ?

Il s’en rapporte uniquement à ses éditeurs pour l’orthographe et la ponctuation ; des fautes d’autre nature peuvent être relevées dans le texte ; le lecteur, qui est au fait de ses idées, les rectifiera de lui-même. — La faveur du public, en me rassurant plus que je n’espérais, m’a donné plus de hardiesse ; mais ce que je crains le plus c’est de rassasier ; je préférerais en être encore aux premières publications de mes Essais, que de lasser en les multipliant, comme a fait un savant de mon époque. La louange est toujours agréable de qui elle vienne et pour quelque raison que ce soit ; encore faut-il, pour qu’elle plaise à juste titre, savoir quelle en est la cause ; les imperfections ellesmêmes peuvent y donner lieu. L’estime du vulgaire n’est d’ordinaire pas heureuse dans les choix sur lesquels elle se porte, et je me trompe bien si, en ces temps-ci, les plus mauvais écrits ne sont pas ceux auxquels va de préférence la faveur populaire. Aussi je rends grâce aux honnêtes gens qui daignent prendre en bonne part mes faibles efforts. Il n’est pas d’ouvrage où les fautes que peut présenter un texte, ressortent autant que dans ceux qui traitent de sujets qui n’intéressent pas par eux-mêmes. Ne t’en prends pas à moi, lecteur, de celles qui se sont glissées dans celui-ci, par la fantaisie ou l’inattention d’autres que moi ; chacun, par les mains de qqui il passe, chaque ouvrier y apporte les siennes. Je ne me mêle ni d’orthographe (j’ai seulement recommandé de se conformer à l’orthographe ancienne), ni de ponctuation, n’étant expert ni en l’une, ni en l’autre. Là où le sens est absolument incompréhensible, je ne m’en mets pas en peine, on ne risque pas de me l’imputer ; mais quand il n’est qu’altéré, ce qui arrive souvent, et qu’on me fait dire ce que je ne dis pas, on me fait grand tort ; toutefois, si la phrase est trop en contradiction avec ce que l’on peut attendre de moi, un honnête homme ne saurait l’accepter comme étant mienne.

  1. *