Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/458

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

formeroit autre que ie n’estois, fust-ce pour m’honorer. Des viuans mesme, ie sens qu’on parle tousiours autrement qu’ils ne sont. Et si à toute force, ie n’eusse maintenu vn amy que i’ay perdu, on me l’eust deschiré en mille contraires visages.Pour acheuer de dire mes foibles humeurs : i’aduoue, qu’en voyageant, ie n’arriue guere en logis, où il ne me passe par la fantasie, si i’y pourray estre, et malade, et mourant à mon aise. Je veux estre logé en lieu, qui me soit bien particulier, sans bruict, non maussade, ou fumeux, ou estouffé. Je cherche à flatter la mort, par ces friuoles circonstances. Ou pour mieux dire, à me descharger de tout autre empeschement : afin que ie n’aye qu’à m’attendre à elle, qui me poisera volontiers assez, sans autre recharge. Je veux qu’elle ait sa part à l’aisance et commodité de ma vie. C’en est vn grand lopin, et d’importance, et espere meshuy qu’il ne dementira pas le passé. La mort a des formes plus aisées les vnes que les autres, et prend diuerses qualitez selon la fantasie de chacun. Entre les naturelles, celle qui vient d’affoiblissement et appesantissement, me semble molle et douce. Entre les violentes, i’imagine plus mal-aisément vn precipice, qu’vne ruïne qui m’accable : et vn coup trenchant d’vne espée, qu’vne harquebusade : et eusse plustost beu le breuuage de Socrates, que de me fraper, comme Caton. Et quoy que ce soit vn, si sent mon imagination difference, comme de la mort à la vie, à me ietter dans vne fournaise ardente, ou dans le canal d’vne platte riuiere. Tant sottement nostre crainte regarde plus au moyen qu’à l’effect. Ce n’est qu’vn instant ; mais il est de tel poix, que ie donneroy volontiers plusieurs jours de ma vie, pour le passer à ma mode. Puisque la fantasie d’vn chacun troune du plus et du moins. en son aigreur : puisque chacun a quelque choix entre les formes de mourir, essayons vn peu plus auant d’en trouuer quelqu’vne deschargée de tout desplaisir. Pourroit on pas la rendre encore voluptueuse, comme les commourans d’Antonius et de Cleopatra ? le laisse à part les efforts que la philosophie, et la religion produisent, aspres et exemplaires, Mais entre les hommes de peu, il s’en est trouué, comme vn Petronius, et vn Tigillinus à Rome, engagez à se donner la mort, qui l’ont comme endormie par la mollesse de leurs apprests. Its l’ont faicte couler et glisser parmy la lascheté