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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/490

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N’estant bourgeois d’aucune ville, ie suis bien aise de l’estre de la plus noble qui fut et qui sera onques. Si les autres se regardoient attentiuement, comme ie fay, ils se trouueroient comme ie fay, pleins d’inanité et de fadaise. De m’en deffaire, ie ne puis, sans me deffaire moy-mesmes. Nous en sommes tous confits, tant les vns que les autres. Mais ceux qui le sentent, en ont vn peu meilleur compte : encore ne sçay-ie.Cette opinion et vsance commune, de regarder ailleurs qu’à nous, a bien pourueu à nostre affaire. C’est vn obiect plein de mescontentement. Nous n’y voyons que misere et vanité. Pour ne nous desconforter, Nature a reietté bien à propos, l’action de nostre veuë, au dehors. Nous allons en auant à vau l’eau, mais de rebrousser vers nous, nostre course, c’est vn mouuenient penible la mer se brouille et s’empesche ainsi, quand elle est repoussée à soy. Regardez, dict chacun, les branles du ciel : regardez au public : à la querelle de cestuy-là : au pouls d’vn tel : au testament de cet autre : somme regardez tousiours haut ou bas, ou à costé, ou deuant, ou derriere vous. C’estoit vn commandement paradoxe, que nous faisoit anciennement ce Dieu à Delphes Regardez dans vous, recognoissez vous, tenez vous à vous. Vostre esprit, et vostre volonté, qui se consomme ailleurs, ramenez la en soy : vous vous escoulez, vous vous respandez : appilez vous, soustenez vous : on vous trahit, on vous dissipe, on vous desrobe à vous. Voy tu pas, que ce monde tient toutes ses veues contraintes au dedans, et ses yeux ouuerts à se contempler soy-mesme ? C’est tousiours vanité pour toy, dedans et dehors : mais elle est moins vanité, quand elle est moins estendue. Sauf toy, ô homme, disoit ce Dieu, chasque chose s’estudie la premiere, et a selon son besoin, des limites à ses tramaux et desirs. Il n’en est vne seule si vuide et necessiteuse que loy, qui embrasses I’vniuers. Tu és le scrutateur sans cognoissance : le magistrat sans inridiction : et apres tout, le badin de la farce.