coup, de peu de fruict. La philosophie veut qu’au chastiement des offences receues, nous en distrayons la cholere : non afin que la vengeance en soit moindre, ains au rebours, afin qu’elle en soit d’autant mieux assenee et plus poisante. À quoy il luy semble que cette impetuosité porte empeschement. Non seulement la cholere trouble : mais de soy, elle lasse aussi les bras de ceux qui chastient. Ce feu estourdit et consomme leur force. Comme en la precipitation, festinatio tarda est. La hastiueté se donne elle mesme la iambe, s’entraue et s’arreste. Ipsa se velocitas implicat. Pour exemple. Selon ce que i’en vois par vsage ordinaire, l’auarice n’a point de plus grand destourbier que soy-mesme. Plus elle est tendue et vigoureuse, moins elle en est fertile. Communement elle attrape plus promptement les richesses, masquée d’vn image de liberalité.Vn Gentilhomme tres-homme de bien, et mon amy, cuyda brouiller la santé de sa teste, par vne trop passionnée attention et affection aux affaires d’vn Prince, son maistre. Lequel maistre, s’est ainsi peinct soy-mesmes à moy : Qu’il voit le poix des accidens, comme vn autre mais qu’à ceux qui n’ont point de remede, il se resoult soudain à la souffrance : aux autres, apres y auoir ordonné les prouisions necessaires, ce qu’il peut faire promptement par la viuacité de son esprit, il attend en repos ce qui s’en peut ensuiure. De vray, ie l’ay veu à mesme, maintenant vne grande nonchalance et liberté d’actions et de visage, au trauers de bien grands affaires et bien espineux. Ie le troune plus grand et plus capable, en vnc mauuaise, qu’en vne bonne fortune. Ses pertes luy sont plus glorieuses, que ses victoires, et son deuil que son triomphe.Considerez, qu’aux actions mesmes qui sont vaines et friuoles au ieu des eschecs, de la paulme, et semblables, cet engagement aspre et ardant d’vn desir impetueux, iette incontinent l’esprit et les membres, à l’indiscretion, et au desordre. On s’esblouit, on s’embarasse soy mesme. Celuy qui se porte plus moderément enuers le gain, et la perte, il est tousiours chez soy. Moins il se pique et passionne au ieu, il le conduit d’autant plus auantageusement et seurement.Nous empeschons au demeurant, la prise et la serre de l’ame, à luy donner tant de choses à saisir. Les vnes, il les luy faut seulement presenter, les autres attacher, les autres incorporer. Elle peut voir et sentir toutes choses, mais elle ne se doit paistre que de soy. Et doit estre instruicte, de ce qui la touche proprement, et qui proprement est de son auoir, et de sa substance. Les loix de Nature nous apprennent
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