Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/554

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CHAPITRE XII.

De la Physionomie.


Qvasi toutes les opinions que nous auons, sont prinses par authorité et à credit. Il n’y a point de mal. Nous ne sçaurions pirement choisir, que par nous, en vn siecle si foible. Cette image des discours de Socrates, que ses amis nous ont laissée, nous ne l’approuuons, que pour la reuerence de l’approbation publique. Ce n’est pas par nostre cognoissance : ils ne sont pas selon nostre vsage. S’il naissoit à cette heure, quelque chose de pareil, il est peu d’hommes qui le prisassent. Nous n’apperceuons les graces que pointues, bouffies, et enflées d’artifice. Celles qui coulent soubs la naïfueté, et la simplicité, eschappent aisément à vne veue grossiere comme est la nostre. Elles ont vne beauté delicate et cachée : il faut la veuë nette et bien purgée, pour descouurir cette secrette lumiere. Est pas, la naïfueté, selon nous, germaine à la sottise, et qualité de reproche ? Socrates faict mouuoir son ame, d’vn mouuement naturel et commun. Ainsi dict vn païsan, ainsi diet vne femme. Il n’a iamais en la bouche, que cochers, menuisiers, sauetiers et maisons. Ce sont inductions et similitudes, tirées des plus vulgaires et cogneues actions des hommes : chacun l’entend. Sous vne si vile forme, nous n’eussions iamais choisi la noblesse et splendeur de ses conceptions admirables : nous qui estimons plates et basses, toutes celles que la doctrine ne releue ; qui n’apperceuons la richesse qu’en montre et en pompe. Nostre monde n’est formé qu’à l’ostentation. Les hommes ne s’enflent que de vent : et se manient à bonds, comine les balons. Cettuy-cy ne se propose point des vaines fantasies. Sa fin fut, nous fournir de choses et de preceptes, qui reellement et plus ioinctement seruent à la vie :

Seruare modum, finémque tenere,
Naturámque sequi.

Il fut aussi tousiours vn et pareil. Et se monta, non par boutades, mais par complexion, au dernier poinct de vigueur. Ou pour mieux