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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/574

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uatas res pertinet. Et que la santé, d’où nous partismes estoit telle, qu’elle soulage elle mesme le regret, que nous en deurions auoir. C’estoit santé, mais non qu’à la comparaison de la maladie, qui l’a suyuie. Nous ne sommes cheus de gueres haut. La corruption et le brigandage, qui est en dignité et en office, me semble le moins supportable. On nous volle moins iniurieusement dans vn bois, qu’en lieu de seureté. C’estoit vne iointure vniuerselle de membres gastez en particulier à l’enuy les vns des autres : et la plus part, d’vlceres enuieillis, qui ne receuoient plus, ny ne demandoient guerison.Ce croulement donq m’anima certes plus, qu’il ne m’atterra, à l’aide de ma conscience, qui se portoit non paisiblement seulement, mais fierement ; et ne trouuois en quoy me plaindre de moy. Aussi, comme Dieu n’enuoye iamais non plus les maux, que les biens tous purs aux hommes, ma santé tint bon ce temps-là, outre son ordinaire. Et ainsi que sans elle ie ne puis rien, il est peu de choses, que ie ne puisse auec elle. Elle me donna moyen d’esueiller toutes mes prouisions, et de porter la main au deuant de la playe, qui eust passé volontiers plus outre. Et esprouuay en ma patience, que i’auois quelque tenue contre la Fortune et qu’à me faire perdre mes arçons, il falloit vn grand heurt. Ie ne le dis pas, pour l’irriter à me faire vne charge plus vigoureuse. Ie suis son seruiteur : ie luy tends les mains. Pour Dieu qu’elle se contente. Si ie sens ses assaux ? si fais. Comme ceux que la tristesse accable et possede, se laissent pourtant par interualles tastonner à quelque plaisir, et leur eschappe vn sousrire : ie puis aussi assez sur moy, pour rendre mon estat ordinaire, paisible, et deschargé d’ennuyeuse imagination : mais ie me laisse pourtant à boutades, surprendre des morsures de ces malplaisantes pensees, qui me batent, pendant que ie m’arme pour les chasser, ou pour les luicter.Voicy vn autre rengregement de mal, qui m’arriua à la suitte du reste. Et dehors et dedans ma maison, ie fus accueilly d’vne peste, vehemente au prix de toute autre. Car comme les corps sains sont subiects à plus griefues maladies, d’autant qu’ils ne peuuent estre forcez que par celles-là : aussi mon air tressalubre, où d’aucune memoire, la contagion, bien que voisine, n’auoit sçeu prendre pied, venant à s’empoisonner, produisit des effects estranges.

Mista senum et iuuenum densantur funera, nullum
Seua caput Proserpina fugit.