Aller au contenu

Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/578

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tonnent plus, ils ne se pleurent plus. I’en vis qui craignoient de demeurer derriere, comme en vne horrible solitude. Et n’y cogneu communément, autre soing que des sepultures : il leur faschoit de voir les corps espars emmy les champs, à la mercy des bestes : qui y peuplerent incontinent. Comment les fantasies humaines se descouppent ! Les Neorites, nation qu’Alexandre subiugua, iettent les corps des morts au plus profond de leurs bois, pour y estre mangez. Seule sepulture estimee entr’eux heureuse. Tel sain faisoit desia sa fosse d’autres s’y couchoient encore viuans. Et vn maneuure des miens, auec ses mains, et ses pieds, attira sur soy la terre en mourant. Estoit ce pas s’abrier pour s’endormir plus à son aise ? D’vne entreprise en hauteur aucunement pareille à celle des soldats Romains, qu’on trouua apres la iournee de Cannes, la teste plongee dans des trous, qu’ils auoient faicts et comblez de leurs mains, en s’y suffoquant. Somme toute vne nation fut incontinent par vsage, logee en vne marche, qui ne cede en roideur à aucune resolution estudiee et consultee.La plus part des instructions de la science, à nous encourager, ont plus de montre que de force, et plus d’ornement que de fruict. Nous auons abandonné Nature, et luy voulons apprendre sa leçon elle, qui nous menoit si heureusement et si seurement. Et ce pendant, les traces de son instruction, et ce peu qui par le benefice de l’ignorance, reste de son image, empreint en la vie de cette tourbe rustique d’hommes impollis : la science est contrainte, de l’aller tous les iours empruntant, pour en faire patron à ses disciples, de constance, d’innocence, et de tranquillité. Il fait beau voir, que ceux-cy plains de tant de belle cognoissance, ayent à imiter cette sotte simplicité et à l’imiter, aux premieres actions de la vertu. Et que nostre sapience, apprenne des bestes mesmes, les plus vtiles enseignemens, aux plus grandes et necessaires parties de nostre vie. Comme il nous faut viure et mourir, mesnager nos biens, aymer et esleuer nos enfans, entretenir iustice. Singulier tesmoignage de l’humaine maladie : et que cette raison qui se manie à nostre poste, trouuant tousiours quelque diuersité et nouvelleté, ne laisse chez nous aucune trace apparente de la Nature. Et en ont faict les hommes, comme les parfumiers de l’huile : ils l’ont sophistiquee de tant d’argumentations, et de discours appellez du dehors, qu’elle en est deuenue variable, et particu-