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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/634

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Ce seroit vn office sans nom ; autrement il perdroit son effect et sa grace. Et est vn roolle qui ne peut indifferemment appartenir à tous. Car la verité mesme, n’a pas ce priuilege, d’estre employee à toute heure, et en toute sorte son vsage tout noble qu’il est, a ses circonscriptions, et limites. Il aduient souuent, comme le monde est, qu’on la lasche à l’oreille du Prince, non seulement sans fruict, mais dommageablement, et encore iniustement. Et ne me fera lon pas accroire, qu’vne sainte remonstrance, ne puisse estre appliquee vitieusement et que l’interest de la substance, ne doyue souuent ceder à l’interest de la forme. Ie voudrois à ce mestier, vn homme contant de sa fortune,

Quod sit, esse velit, nihilque malit :

et nay de moyenne fortune. D’autant, que d’vne part, il n’auroit point de crainte de toucher viuement et profondement le cœur du maistre, pour ne perdre par là, le cours de son auancement. Et d’autre part, pour estre d’vne condition moyenne, il auroit plus aysee communication à toute sorte de gens. Ie le voudroy à vn homme seul : car respandre le priuilege de cette liberté et priuauté à plusieurs, engendreroit vne nuisible irreuerence. Ouy, et de celuy là, ie requerroy sur tout la fidelité du silence.Vn Roy n’est pas à croire, quand il se vante de sa constance, à attendre le rencontre de l’ennemy, pour sa gloire si pour son profit et amendement, il ne peut souffrir la liberté des parolles d’vn amy, qui n’ont autre effort, que de luy pincer l’ouye : le reste de leur effect estant en sa main. Or il n’est aucune condition d’homine, qui ait si grand besoing, que ceux-là, de vrais et libres aduertissemens. Ils soustiennent vne vie publique, et ont à agreer à l’opinion de tant de spectateurs, que comme on a accoustumé de leur taire tout ce qui les diuertit de leur route, ils se trouuent sans le sentir, engagez en la haine et detestation de leurs peuples, pour des occasions souuent, qu’ils eussent peu euiter, à nul interest de leurs plaisirs mesme, qui les en eust aduisez et redressez à temps. Communement leurs fauorits regardent à soy, plus qu’au maistre. Et il leur va de bon : d’autant qu’à la verité, la plus part des offices de la vraye amitié, sont enuers le souuerain, en vn rude et perilleux essay. De maniere, qu’il y fait besoin, non seulement de beaucoup d’affection et de franchise, mais encore de courage.En fin, toute cette fricassee que ie barbouille ici, n’est qu’vn registre des essais de ma vie qui est