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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/77

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ont essayé, que pas la moindre parcelle de gravier n’a daigné s’en émouvoir.

Sur quoi, du reste, la connaissance que les médecins prétendent avoir de l’efficacité de leurs remèdes, est-elle fondée ? — Je ne puis quitter mon papier, sans dire encore un mot sur ce que les médecins nous donnent comme garantie de l’efficacité de leurs drogues, savoir l’expérience qu’ils en ont faite. La plupart, peut-être plus des deux tiers des vertus médicinales des médicaments, proviennent de la quintessence des simples, sur les propriétés cachées desquelles l’usage seul nous renseigne ; or, la quintessence d’une chose n’est autre que la qualité maîtresse qui lui est propre et qui échappe à notre raison, laquelle n’arrive pas à en découvrir la cause. Parmi ces preuves d’efficacité, il en est, disent-ils, qui leur ont été révélées par quelque démon ; quand ils parlent ainsi, je me contente de les écouter, car, pour ce qui est des miracles, je ne les discute jamais. D’autres ressortent de l’usage même que, pour d’autres considérations, nous faisons des choses ; comme dans le cas où la laine, par exemple, dont nous usons d’habitude pour nous vêtir, aurait été, par accident, reconnue posséder quelque propriété cachée dessiccative, qui guérisse les mules qui auraient mal au talon ; ou dans celui où on aurait constaté une action purgative au raifort qui compte parmi nos aliments. — Galien raconte qu’un lépreux a été guéri pour avoir bu du vin d’un vase dans lequel s’était, par hasard, glissée une vipère ; c’est là un fait susceptible d’effet et qui permet d’admettre l’expérience comme vraisemblablement acquise ; de même de toutes celles que les médecins nous donnent comme résultant d’exemples fournis par certains animaux ; mais, dans la plupart des expériences autres, auxquelles ils ont été conduits, disent-ils, par leur bonne fortune, sans autre guide que le hasard, je trouve que les déductions qu’ils en tirent ne s’imposent pas. Imaginons l’homme embrassant du regard le nombre infini des choses, plantes, animaux, métaux qui sont autour de lui, je me demande par où, en pareil cas, commenceront ses essais ? Supposons que sa fantaisie fasse que, tout d’abord, ce soit par la corne d’un élan ; ce choix, ainsi né de son caprice, ne peut être admis que par une confiance bien souple et bien accommodante, et le même embarras se reproduira quand il s’agira d’en tirer parti. Il se trouve, en effet, en présence de tant de maladies et de tant de circonstances qui interviennent, que l’esprit humain s’y perd avant d’arriver à être certain du point auquel, pour être concluants, doivent s’arrêter les résultats de l’expérience qu’il a entreprise : ne lui faut-il pas déterminer au préalable que, de cette infinité de choses sur lesquelles peuvent porter ses recherches, c’est précisément cette corne d’élan qui convient ; que parmi cette multitude de maladies, c’est à l’épilepsie qu’il y a lieu d’en faire application ; que parmi tant de tempéraments divers, c’est à celui qui est porté à la mélancolie ; que sur tant des saisons, c’est en hiver qu’il faut opérer ; que parmi tant de nations, c’est sur le