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ESSAIS DE MONTAIGNE

étendu sur le discours de l’institution des enfants. Or, madame, si j’avais quelque suffisance en ce sujet, je ne pourrais la mieux employer que d’en faire un présent à ce petit homme qui vous menace de faire tantôt une belle sortie de chez vous, car ayant eu tant de part à la conduite de votre mariage, j’ai quelque droit et intérêt à la grandeur et prospérité de tout ce qui en viendra ; outre ce que l’ancienne possession que vous avez sur ma servitude m’oblige assez à désirer honneur, bien et avantage à tout ce qui vous touche. Mais à la vérité je n’y entends sinon cela, que la plus grande difficulté et importante de l’humaine science semble être en cet endroit, où il se traite de la nourriture et institution des enfants. Tout ainsi qu’en l’agriculture les façons qui vont avant le planter sont certaines et aisées, et le planter même ; mais, depuis que ce qui est planté vient à prendre vie, à l’élever il y a une grande variété de façons et difficulté : pareillement aux hommes, depuis qu’ils sont nés, on se charge d’un soin divers, plein d’embesognement et de crainte à les dresser et nourrir. La montre de leurs inclinations est si tendre en ce bas âge et si obscure, les promesses si incertaines et fausses, qu’il est mal aisé d’y établir aucun solide jugement. Voyez Cimon, voyez Thémistocle, et mille autres, combien ils se sont disconvenus à eux-mêmes. Les petits des ours et des chiens montrent leur inclination naturelle ; mais les hommes, se jetant incontinent en des accoutumances, en des opinions, en des lois, se changent ou se déguisent facilement ; si est-il difficile de forcer les propensions naturelles. D’où il advient que, par faute d’avoir bien choisi leur route, pour néant se travaille-t-on souvent, et emploie-t on beaucoup