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CHAPITRE XV.

Platon, que philosopher ce soit apprendre plusieurs choses et traiter les arts ! Léon, prince des Philiasiens, s’enquérant à Héraclide Ponticus de quelle science, de quel art il faisait profession : — Je ne sais, dit-il, ni art ni science ; mais je suis philosophe. — On reprochait à Diogène, comment, étant ignorant, il se mêlait de la philosophie. — Je m’en mêle, dit-il, d’autant mieux à propos. — Hégésias le priait de lui lire quelque livre : — Vous êtes plaisant, lui répondit-il : vous choisissez les figues vraies et naturelles, non peintes ; que ne choisissez-vous aussi les exercitations naturelles, vraies et non écrites.

Il ne dira pas tant sa leçon comme il la fera ; il la répétera en ses actions : on verra s’il y a de la prudence en ses entreprises ; s’il y a de la bonté, de la justice en ses déportements ; s’il a du jugement et de la grâce en son parler, de la vigueur en ses maladies, de la modestie en ses jeux, de l’ordre en ses économies ; de l’indifférence en son goût, soit chair, poisson, vin ou eau. Le vrai miroir de nos discours est le cours de nos vies. Zeuxidamus répondit à un qui lui demanda pourquoi les Lacédémoniens ne rédigeaient par écrit les ordonnances de la prouesse, et ne les donnaient à lire à leurs jeunes gens : « Que c’était parce qu’ils les voulaient accoutumer aux faits, non pas aux paroles. » Comparez, au bout de quinze ou seize ans, à celui-ci, un de ces latineurs de collége, qui aura mis autant de temps à n’apprendre — simplement qu’à parler.

Le monde n’est que babil, et ne vis jamais homme qui ne dît plutôt plus que moins qu’il ne doit. Toutefois la moitié de notre âge s’en va là : on nous tient quatre ou cinq