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ESSAIS DE MONTAIGNE

Cicéron, plusieurs en entraient en admiration ; mais Caton, n’en faisant que rire : « Nous avons, disait-il, un plaisant consul. »

Aille devant ou après une utile sentence, un beau trait est toujours de saison ; s’il n’est pas bien pour ce qui va devant, ni pour ce qui vient après, il est bien en soi. Je ne suis pas de ceux qui pensent le bon rhythme faire le bon poëme : laissez-lui allonger une courte syllabe, s’il veut ; pour cela, non force ; si les inventions y rient, si l’esprit et le jugement y ont bien fait leur office, voilà un bon poète, dirai-je, mais un mauvais versificateur. Qu’on fasse, dit Horace, perdre à ses ouvrages toutes ses coutures et mesures, il ne se démentira point pour cela ; les pièces mêmes en seront belles. C’est ce que répondit Ménandre, comme on le tançait, approchant le jour auquel il avait promis une comédie, de quoi il n’y avait encore mis la main : « Elle est composée et prête ; il ne reste qu’à y ajouter les vers : » ayant les choses et la matière disposée en l’âme, il mettait en peu de compte le demeurant. Depuis que Ronsard et du Bellay ont donné crédit à notre poésie française, je ne vois si petit apprenti qui n’enfle des mots, qui ne range les cadences à peu près comme eux. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poètes ; mais, comme il leur a été bien aisé de représenter leurs rhythmes, ils demeurent bien aussi courts à imiter les riches descriptions de l’un et les délicates inventions do l’autre.

Voire mais, que fera-t-il[1] si on le presse de la sub-

  1. Notre jeune élève.