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CHAPITRE XIX.

C’est une espèce de moquerie et d’injure de vouloir faire valoir un homme par des qualités mésavenantes à son rang, quoiqu’elles soient autrement louables, et par les qualités aussi qui ne doivent pas être les siennes principales ; comme qui louerait un roi d’être bon peintre ou bon architecte, ou encore bien arquebusier ou bon coureur de bague. Ces louanges ne font honneur, si elles ne sont présentées en foule et à la suite de celles qui lui sont propres, à savoir de la justice et de la science de conduire son peuple en paix et en guerre. De cette façon fait honneur à Cyrus l’agriculture, et à Charlemagne l’éloquence et connaissance des bonnes lettres. J’ai vu de mon temps, en plus forts termes, des personnages qui tiraient d’écrire et leurs titres et leur vocation, désavouer leur apprentissage, corrompre leur plume, et affecter l’ignorance de qualité si vulgaire, et que notre peuple tient ne se rencontrer guère en mains savantes, se recommandant par meilleures qualités. Les compagnons de Démosthènes, en l’ambassade vers Philippus, louaient ce prince d’être beau, éloquent et bon buveur : Démosthènes disait que c’étaient louanges qui appartenaient mieux à une femme, à un avocat, à une éponge, qu’à un roi. Ce n’est pas sa profession de savoir ou bien chasser ou bien danser. Plutarque dit davantage, que de paraître si excellent en ces parties moins nécessaires, c’est produire contre soi le témoignage d’avoir mal dépensé son loisir, et l’étude qui devait être employée à choses plus nécessaires et utiles. De façon que Philippus, roi de Macédoine, ayant ouï ce grand Alexandre, son fils, chanter en un festin à l’envi des meilleurs musiciens : « N’as-tu pas honte, lui dit-il, de chanter si