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CHAPITRE XIX.

davantage, — et pour ceux qui rencontreront mon air.

Retournant à la vertu parlière, je ne trouve pas grand choix entre ne savoir dire que mal, ou ne savoir rien que bien dire. Les sages disent que, pour le regard du savoir, il n’est que la philosophie, et pour le regard des effets que la vertu, qui généralement soit propre à tous degrés et tous ordres.

Il y a quelque chose de pareil en ces autres deux philosophes[1] ; car ils promettent aussi éternité aux lettres qu’ils écrivent à leurs amis : mais c’est d’autre façon, et s’accommodant, pour une bonne fin, à la vanité d’autrui ; car ils leur mandent que, si le soin de se faire connaître aux siècles à venir et de la renommée, les arrête encore au maniement des affaires et leur fait craindre la solitude et la retraite où ils les veulent appeler, qu’ils ne s’en donnent plus de peine, d’autant qu’ils ont assez de crédit avec la postérité pour leur répondre que, quand ce ne serait que par les lettres qu’ils leur écrivent, ils rendront leur nom aussi connu et fameux que pourraient faire leurs actions publiques ! Et outre cette différence, encore ne sont-ce pas lettres vides et décharnées, qui ne se soutiennent que par un délicat choix de mots entassés et rangés à une juste cadence, mais farcies et pleines de beaux discours de sapience, par lesquelles on se rend, non plus éloquent, mais plus sage, et qui nous apprennent, non à bien dire, mais à bien faire. Fi de l’éloquence qui nous laisse envie de soi, non des choses ! si ce n’est qu’on dise que celle de Cicéron, étant en si extrême perfection, se donne corps elle-même.

  1. Epicure et Sénèque.