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CHAPITRE XXVI.

toute de même. Je ne pense pas qu’aucun citoyen de Sparte se glorifiât de sa vaillance, car c’était une vertu populaire en leur nation ; et aussi peu de la fidélité et mépris des richesses. Il n’échoit pas de récompense à une vertu, pour grande qu’elle soit, qui est passée en coutume ; et ne sais avec si nous l’appellerions jamais grande, étant commune.

Puis donc que ces loyers d’honneur n’ont autre prix et estimation que celle-là, que peu de gens en jouissent, il n’est pour les anéantir que d’en faire largesse. Quand il se trouverait plus d’hommes qu’au temps passé qui méritassent notre ordre, il n’en fallait pas pourtant corrompre l’estimation : et peut aisément advenir que plus le méritent ; car il n’est aucune des vertus qui s’épande si aisément que la vaillance militaire. Il y en a une autre vraie, parfaite et philosophique, de quoi je ne parle point, et me sers de ce mot selon notre usage, bien plus grande que celle-ci et plus pleine, qui est une force et assurance de l’âme, méprisant également toute sorte de contraires accidents, égale, uniforme et constante, de laquelle la nôtre n’est qu’un bien petit rayon. L’usage, l’institution, l’exemple et la coutume, peuvent tout ce qu’elles veulent en l’établissement de celle de quoi je parle, et la rendent aisément vulgaire, comme il est trèsaisé à voir, par l’expérience que nous en donnent nos guerres civiles : et qui nous pourrait joindre à cette heure, et acharner à une entreprise commune tout notre peuple, nous ferions refleurir notre ancien nom militaire. Il est bien certain que la récompense de l’ordre ne touchait pas, au temps passé, seulement la vaillance ; elle regardait plus loin : ce n’a jamais été le paiement d’un