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ESSAIS DE MONTAIGNE.

chent à se recommander par des sauts périlleux et autres mouvements étranges et bateleresques ; et les dames ont meilleur marché de leur contenance aux danses où il y a diverses découpures et agitations de corps, qu’en certaines autres danses de parade, où elles n’ont simplement qu’à marcher un pas naturel, et représenter un port naïf et leur grâce ordinaire ; et comme j’ai vu aussi les badins excellents, vêtus en leur à-tous-les-jours[1] et en une contenance commune, nous donner tout le plaisir qui se peut tirer de leur art, les apprentis et qui ne sont de si haute leçon avoir besoin de s’enfariner le visage, de se travestir, se contrefaire en mouvements de grimaces sauvages pour nous apprêter à rire. Cette mienne conception se reconnaît, mieux qu’en tout autre lieu, en la comparaison de l’Enéide et du Furieux[2] : celui-là on le voit aller à tire d’aile, d’un vol haut et ferme, suivant toujours sa pointe ; celui-ci, voleter et sauteler de conte en conte, comme de branche en branche, ne se fiant à ses ailes que pour une bien courte traverse, et prendre pied à chaque bout de champ, de peur que l’haleine et la force lui faille. Voilà donc, quant à cette sorte de sujets, les auteurs qui me plaisent le plus.

Quant à mon autre leçon, qui mêle un peu plus de fruit au plaisir par où j’apprends à ranger mes opinions et conditions, les livres qui m’y servent c’est Plutarque, depuis qu’il est français, et Sénèque. Ils ont tous deux cette notable commodité pour mon humeur, que la science que j’y cherche y est traitée à pièces décousues, qui ne demandent pas l’obligation d un long travail, de

  1. A leur ordinaire.
  2. L’Orlando furioso de l’Arioste.