Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
269
CHAPITRE XXIX.

aidé, ou si je suis autrement ainsi né ; mais tant y a que la plupart des vices, je les ai de moi-même en horreur. Le mot d’Antisthènes à celui qui lui demandait le meilleur apprentissage : « Désapprendre le mal, » semble s’arrêter à cette image. Je les ai, dis-je, en horreur, d’une opinion si naturelle et si mienne, que ce même instinct et impression que j’en ai apporté de la nourrice, je l’ai conservé sans qu’aucunes occasions me l’aient su faire altérer ; voire non pas mes discours propres, qui, pour s’être débandés en aucunes choses de la route commune, me licencieraient aisément à des actions que cette naturelle inclination me fait haïr. Je dirai un monstre, mais je le dirai pourtant : je trouve par-là, en plusieurs choses, plus d’arrêt et de règle en mes mœurs qu’en mon opinion, et ma concupiscence moins débauchée que ma raison.

Quant à l’opinion des stoïciens, qui disent « le sage œuvrer, quand il œuvre, par toutes les vertus ensemble, quoiqu’il y en ait une plus apparente, selon la nature de l’action ; » à cela leur pourrait servir aucunement la similitude du corps humain ; car l’action de la colère ne se peut exercer que toutes les humeurs ne nous y aident, quoique la colère prédomine. Si de là ils veulent tirer pareille conséquence, que, quand le fautier fault, il fault par tous les vices ensemble, je ne les en crois pas ainsi simplement, ou je ne les entends pas, car je sens par effet le contraire : ce sont subtilités aiguës, insubstantielles, auxquelles la philosophie s’arrête parfois. Je suis quelques vices ; mais j’en fuis d’autres autant que saurait l’aire un saint. Aussi désavouent les péripatéticiens cette connexité et couture indissoluble ; et tient Aristote qu’un