Page:Montaigne - Essais, Musart, 1847.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
275
CHAPITRE XXIX.

celle-là, la vivacité, ou, comme nos voisins les Bourguignons, avec toute l’Allemagne, l’impatience de se voir enfermés ; par où ils représentaient la liberté, qu’ils aimaient et adoraient au-delà de toute autre faculté divine ; et ainsi des autres.

Quand tout cela en serait à dire, si y a-t-il un certain respect qui nous attache, et un général devoir d’humanité, non aux bâtes seulement qui ont vie et sentiment, mais aux arbres mêmes et aux plantes. Nous devons la justice aux hommes, et la grâce et la bénignité aux autres créatures qui en peuvent être capables : il y a quelque commerce entre elles et nous, et quelque obligation mutuelle. Je ne crains point à dire la tendresse de ma nature, si puérile que je ne puis pas bien refuser à mon chien la fête qu’il m’offre hors de saison ou qu’il me demande. Les Turcs ont des aumênes et des hôpitaux pour les bêtes. Les Romains avaient un soin public de la nourriture des oies, par la vigilance desquelles leur Capitole avait été sauvé. Les Athéniens ordonnèrent que les mules et mulets qui avaient servi au bâtiment du temple appelé Hécatompédon fussent libres, et qu’on les laissât paître partout sans empêchement. Les Agrigentins avaient en usage commun d’enterrer sérieusement les bêtes qu’ils avaient eu chères, comme les chevaux de quelque rare mérite, les chiens et les oiseaux utiles, ou même qui avaient servi de passe-temps à leurs enfants : et la magnificence qui leur était ordinaire en toutes autres choses paraissait aussi singulièrement à la somptuosité et nombre de monuments élevés à cette fin, qui ont duré en parade plusieurs siècles depuis. Les Égyptiens enterraient les loups, les ours, les crocodiles,