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ESSAIS DE MONTAIGNE.

les articles de la religion chrétienne : en quoi, à dire la vérité, je le trouve si ferme et si heureux que je ne pense point qu’il soit possible de mieux faire en cet argument-là ; et je crois que nul ne l’a égalé. Cet ouvrage me semblant trop riche et trop beau pour un auteur duquel le nom soit si peu connu et duquel tout ce que nous savons, c’est qu’il était Espagnol, faisant profession de médecine à Toulouse, il y a environ deux cents ans. Je m’enquis autrefois à Adrianus Turnebus, qui savait toutes choses, ce que pouvait être ce livre : il me répondit qu’il pensait que ce fût quelque quintessence tirée de saint Thomas d’Aquin ; car, de vrai, cet esprit-là, plein d’une érudition infinie et d’une subtilité admirable, était seul capable de telles imaginations. Tant y a que, quiconque en soit l’auteur (et ce n’est pas raison d’ôter sans plus grande occasion à Sebond ce titre), c’était un très-suffisant homme et ayant plusieurs belles parties.

La réprehension qu’on fait de son ouvrage, c’est que les chrétiens se font tort de vouloir appuyer leur créance par des raisons humaines, qui ne se conçoit que par foi et par une inspiration particulière de la grâce divine. En cette objection, il semble qu’il y ait quelque zèle de piété ; et, à cette cause, nous faut-il, avec d’autant plus de douceur et de respect, essayer de satisfaire à ceux qui la mettent en avant. Ce serait mieux la charge d’un homme versé en la théologie, que de moi qui n’y sais rien : toutefois, je juge ainsi, qu’à une chose si divine et si hautaine, et surpassant de si loin l’humaine intelligence, comme est cette vérité de laquelle il a plu à la bonté de Dieu nous éclairer, il est bien besoin qu’il nous prête encore son secours, d’une faveur extraordinaire et privi-