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XLVII
A L’ESPRIT DES LOIS.


Angleterre seulement qu’on pouvait parler avec cette franchise.


Le 10 de ce mois (février 1755) est mort à Paris, universellement et sincèrement regretté, Charles Secondât baron de Montesquieu, et président à mortier du Parlement de Bordeaux. Ses vertus ont fait honneur à la nature humaine, et ses écrits à la jurisprudence. Ami du genre humain, il en soutint énergiquement les droits incontestables et inaltérables ; il le fit même dans sa patrie, dont il regretta toujours les préjugés en fait de religion et de gouvernement ; il essaya et non sans succès de les écarter. Il connaissait bien, et il admirait avec raison l'heureuse constitution de notre pays, où des lois fixes et connues empêchent également la monarchie de dégénérer en despotisme, et la liberté de dégénérer en licence. Ses écrits assurent la célébrité de son nom ; ils lui survivront aussi longtemps que la droite raison, la morale, et le véritable esprit des lois seront compris, respectés, défendus. »



Mais, dans toute l’Europe, ce fut l'Italie qui accueillit l'Esprit des lois avec le plus d’enthousiasme. Montesquieu y avait beaucoup d’amis, et d’ailleurs quel pays était mieux fait pour goûter tant de raison, assaisonnée de tant d’esprit [1] ?



Il faut bien, écrit-il à l'abbé Venati, que je vous donne des nouvelles d’Italie sur l'Esprit des lois. M. le duc de Nivernois en écrivit il y a trois semaines à M. de Forçalquier, d'une manière que je ne saurois vous répéter sans rougir. Il y a deux jours qu'il en reçut une autre dans laquelle il marque, que dès qu’il parut à Turin, le roi de Sardaigne [2] le lut. Il ne m’est pas permis non plus de répéter ce qu’il en dit : je vous dirai seulement le fait : c’est qu’il le donna pour le lire à son fils le duc de Savoie, qui l’a lu deux fois : Le marquis de Breil me mande qu’il lui a dit qu’il vouloit la lire toute sa vie [3].

Il y eut cependant une protestation à Turin. Le père Gerdil, savant barnabite qui fut plus tard cardinal, et manqua d’être pape, essaya de réfuter Montesquieu [4] ; il le lit avec

  1. Pour plus de détails, voyez les Recherches sur l'Esprit des lois du comte Sclopis, pag. 123 et suiv.
  2. Charles Emmanuel III, père de Victor Amédée III.
  3. Lettre de 1730.
  4. Dans un discours prononcé le 5 novembre 1750 à Turin, et qui a pour titre : Virtutem politicam ad optimum statum non minus Regno quam Reipublicæ necessariam esse. M. Sclopis en donne l’analyse dans ses curieuses Recherches sur l'Esprit des lois, p. 138.