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XLIVI
INTRODUCTION


qui ait montré que ces vieux remparts féodaux abritaient la liberté la plus large et la mieux réglée [1]. Il avait fallu un coup de génie pour réunir tant d’éléments épars et en faire admirer la puissante unité. C’était presque une révélation. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’un jurisconsulte méthodique comme était Blackstone se soit fait le disciple de Montesquieu, et qu'il le cite comme une autorité. Si Ion en croit un écrivain du dernier siècle, Blackstone n’aurait pas été le seul qui donnât à Montesquieu droit de cité parmi les jurisconsultes anglais. « On sait, dit Lenglet, qu’il se trouve toujours un exemplaire de l’Esprit des lois sur une table de la Chambre des communes [2]. » J’ignore où Lenglet a pris ce fait singulier. S’il est vrai, ce dont je doute, c’est le plus bel hommage qu’un publiciste ait jamais reçu. On a traité Montesquieu en législateur.

Du reste les Anglais étaient mieux placés que nous pour goûter certaines qualités de ce génie puissant. Si par la grâce et la finesse de son langage Montesquieu est Français, et même Gascon, il faut reconnaître que par le fond des idées, il est de l’école anglaise. On sent en lui la modération et la solidité de ces hommes d’État qui traitent la politique non comme une passion, non comme une religion, mais comme une affaire. Il a, lui aussi, le respect de la tradition et le goût de la liberté ; ce n’est pas de la violence, c’est de la raison et de la justice qu’il attend la réforme des abus et le progrès de la civilisation. Lord Chesterfield, son ami, lui a rendu sur ce point un hommage mérité [3]. C’est le jugement le plus vrai que les contemporains aient porté sur Montesquieu. Disons, pour être équitables, qu’en 1755, c’est en

  1. La Constitution d’Angleterre du Genevois Delolme, ouvrage qui est à vrai dire le développement des deux chapitres de Montesquieu sur l'Angleterre, n'a paru qu’en 1771.
  2. Lenglet, Essais ou observations sur Montesquieu, Paris 1787, pag. 120.
  3. Cet éloge, contenu dans l'Evening-Post, nous a été conservé par d'Alembert.