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LETTRES PERSANES.


avez si indignement trahi ? Que les mœurs du pays où vous vivez sont saintes, qui vous arrachent aux attentats [1] des plus vils esclaves ! Vous devez me rendre grâce de la gêne où je vous fais vivre, puisque ce n’est que par là que vous méritez encore de vivre.

Vous ne pouvez souffrir le chef des eunuques, parce qu’il a toujours les yeux sur votre conduite, et qu’il vous donne ses sages conseils. Sa laideur, dites-vous, est si grande, que vous ne pouvez le voir sans peine : comme si, dans ces sortes de postes, on mettait de plus beaux objets. Ce qui vous afflige est de n’avoir pas à sa place l’eunuque blanc qui vous déshonore.

Mais que vous a fait votre première esclave ? Elle vous a dit que les familiarités que vous preniez avec la jeune Zélide étaient contre la bienséance : voilà la raison de votre haine.

Je devrais être, Zachi, un juge sévère ; je ne suis qu’un époux qui cherche à vous trouver innocente. L’amour que j’ai pour Roxane, ma nouvelle épouse, m’a laissé toute la tendresse que je dois avoir pour vous, qui n’êtes pas moins belle. Je partage mon amour entre vous deux ; et Roxane n’a d’autre avantage que celui que la vertu peut ajouter à la beauté.

De Smyrne, le 12 de la lune de zilcadé, [2] 1711.

  1. A. C. A l’attentat.
  2. Zoulcadé, onzième mois de l’année musulmane.