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LETTRE XXII.



LETTRE XXII.

JARON AU PREMIER EUNUQUE.

A mesure qu’Usbek s’éloigne du sérail, il tourne sa tête vers ses femmes sacrées : il soupire, il verse des larmes : sa douleur s’aigrit, ses soupçons se fortifient. Il veut augmenter le nombre de leurs gardiens. Il va me renvoyer, avec tous les noirs qui l’accompagnent. Il ne craint plus pour lui : il craint pour ce qui lui est mille fois plus cher que lui-même.

Je vais donc vivre sous tes lois, et partager tes soins. Grand Dieu ! qu’il faut de choses pour rendre un seul homme heureux !

La nature semblait avoir mis les femmes dans la dépendance, et les en avoir retirées : le désordre naissait entre les deux sexes, parce que leurs droits étaient réciproques. Nous sommes entrés dans le plan d’une nouvelle harmonie : nous avons mis, entre les femmes et nous, la haine ; et, entre les hommes et les femmes, l’amour.

Mon front va devenir sévère. Je laisserai tomber des regards sombres. La joie fuira de mes lèvres. Le dehors sera tranquille, et l’esprit inquiet. Je n’attendrai point les rides de la vieillesse, pour en montrer les chagrins.

J’aurais eu du plaisir à suivre mon maître dans l’Occident : mais ma volonté est son bien. Il veut que je garde