LETTRE XXXII.
RICA A ***
J’allai, l’autre jour, voir une maison où l’on entretient environ trois cents personnes assez pauvrement. [1] J’eus bientôt fait ; car l’église et les bâtiments [2] ne méritent pas d’être regardés. Ceux qui sont dans cette maison étaient assez gais ; plusieurs d’entre eux jouaient aux cartes, ou à d’autres jeux que je ne connais point. Comme je sortais, un de ces hommes sortait aussi ; et, m’ayant entendu demander le chemin du Marais, qui est le quartier le plus éloigné de Paris : J’y vais, me dit-il, et je vous y conduirai ; suivez-moi. Il me mena à merveille, me tira de tous les embarras, et me sauva adroitement des carrosses et des voitures. Nous étions près d’arriver, quand la curiosité me prit : Mon bon ami, lui dis-je, ne pourrais-je point savoir qui vous êtes ? Je suis aveugle, monsieur, me répondit-il. Comment ! lui dis-je, vous êtes aveugle ? Et que ne priiez-vous cet honnête homme qui jouait aux cartes avec vous, de nous conduire ? Il est aveugle aussi, me répondit-il : il y a quatre cents ans que nous sommes trois cents aveugles dans cette maison où vous m’avez trouvé.