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LETTRE LXVI.





LETTRE LXVI.

RICA A ***.


On s’attache ici beaucoup aux sciences, mais je ne sais si on est fort savant. Celui qui doute de tout, comme philosophe, n’ose rien nier comme théologien : cet homme contradictoire est toujours content de lui, pourvu qu’on convienne des qualités.

La fureur de la plupart des Français, c’est d’avoir de l’esprit ; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres.

Cependant il n’y a rien de si mal imaginé : la nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères ; et les livres les immortalisent. Un sot devrait être content d’avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui : il veut encore tourmenter les races futures ; il veut que sa sottise triomphe de l’oubli, dont il aurait pu jouir comme du tombeau ; il veut que la postérité soit informée qu’il a vécu, et qu’elle sache à jamais qu’il a été un sot.

De tous les auteurs, il n’y en a point que je méprise plus que les compilateurs, qui vont de tous côtés chercher des lambeaux des ouvrages des autres, qu’ils plaquent dans les leurs, comme des pièces de gazon dans un parterre : ils ne sont point au-dessus de ces ouvriers d’im-