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LETTRE LXVII.


religion de vos pères ? Je sais qu’entrant au beiram, vous avez dû faire profession du mahométisme : mais, dites-moi, votre cœur a-t-il pu consentir, comme votre bouche, à quitter une religion qui me permet de vous aimer ? Et pour qui la quittez-vous, cette religion qui nous doit être si chère ? pour un misérable encore flétri des fers qu’il a portés ; qui, s’il était homme, serait le dernier de tous. Mon frère, dit-elle, cet homme, dont vous parlez, est mon mari ; il faut que je l’honore, tout indigne qu’il vous paraît ; et je serais aussi la dernière des femmes, si... Ah ! ma sœur ! lui dis-je, vous êtes guèbre : il n’est ni votre époux, ni ne peut l’être : si vous êtes fidèle comme vos pères, vous ne devez le regarder que comme un monstre. Hélas ! dit-elle, que cette religion se montre à moi de loin ! A peine en savais-je les préceptes, qu’il les fallut oublier. Vous voyez que cette langue, que je vous parle, ne m’est plus familière, et que j’ai toutes les peines du monde à m’exprimer : mais comptez que le souvenir de notre enfance me charme toujours ; que depuis ce temps-là, je n’ai eu que de fausses joies ; qu’il ne s’est pas passé de jour que je n’aie pensé à vous ; que vous avez eu plus de part que vous ne croyez à mon mariage, et que je n’y ai été déterminée que par l’espérance de vous revoir. Mais que ce jour, qui m’a tant coûté, va me coûter encore ! Je vous vois tout hors de vous-même ; mon mari frémit de rage et de jalousie : je ne vous verrai plus ; je vous parle sans doute pour la dernière fois de ma vie : si cela était, mon frère, elle ne serait pas longue. A ces mots, elle s’attendrit ; et se voyant hors d’état de tenir la conversation, elle me quitta le plus désolé de tous les hommes.

Trois ou quatre jours après, je demandai à voir ma sœur : le barbare eunuque aurait bien voulu m’en empê-