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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/301

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LETTRE LXXXV.


du royaume. Je suis sûr que le grand Cha-Abas aurait mieux aimé se faire couper les deux bras que de signer un ordre pareil ; et, qu’en envoyant au Mogol et aux autres rois des Indes ses sujets les plus industrieux, il aurait cru leur donner la moitié de ses États.

Les persécutions que nos mahométans zélés ont faites aux guèbres, les ont obligés de passer en foule dans les Indes, [1] et ont privé la Perse de cette nation, [2] si appliquée au labourage, et qui seule, par son travail, était en état de vaincre la stérilité de nos terres.

Il ne restait à la dévotion qu’un second coup à faire : c’était de ruiner l’industrie ; moyennant quoi l’empire tombait de lui-même, et, avec lui, par une suite nécessaire, cette même religion qu’on voulait rendre si florissante.

S’il faut raisonner sans prévention, je ne sais, Mirza, s’il n’est pas bon que, dans un État, il y ait plusieurs religions.

On remarque que ceux qui vivent dans des religions tolérées, se rendent ordinairement plus utiles à leur patrie que ceux qui vivent dans la religion dominante ; parce qu’éloignés des honneurs, ne pouvant se distinguer que par leur opulence et leurs richesses, ils sont portés à en acquérir par leur travail et à embrasser les emplois de la société les plus pénibles.

D’ailleurs, comme toutes les religions contiennent des préceptes utiles à la société, il est bon qu’elles soient observées avec zèle. Or, qu’y a-t-il de plus capable d’animer ce zèle, que leur multiplicité ?

  1. Ils y sont encore sous le nom de Parsis, et ont conservé leurs livres sacrés et le culte du feu.
  2. A. C. De cette laborieuse nation.