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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/347

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LETTRE CII.


taine et ne voyant rien de pis, il se porte naturellement à troubler l’État et à conspirer contre le souverain ; seule ressource qui lui reste.

Il n’en est pas de même des grands d’Europe, à qui la disgrâce n’ôte rien que la bienveillance et la faveur. Ils se retirent de la cour et ne songent qu’à jouir d’une vie tranquille et des avantages de leur naissance. Comme on ne les fait guère périr que pour le crime de lèse-majesté, ils craignent d’y tomber par la considération de ce qu’ils ont à perdre, [1] et du peu qu’ils ont à gagner ; ce qui fait qu’on voit peu de révoltes et peu de princes qui périssent d’une mort violente. [2]

Si, dans cette autorité illimitée qu’ont nos princes, ils n’apportaient pas tant de précautions pour mettre leur vie en sûreté, ils ne vivraient pas un jour ; et s’ils n’avaient à leur solde un nombre innombrable de troupes pour tyranniser le reste de leurs sujets, leur empire ne subsisterait pas un mois.

Il n’y a que quatre ou cinq siècles qu’un roi de France [3] prit des gardes, contre l’usage de ces temps-là, pour se garantir des assassins qu’un petit prince d’Asie [4] avait envoyés pour le faire périr ; jusque-là les rois avaient vécu tranquilles au milieu de leurs sujets, comme des pères au milieu de leurs enfants.

Bien loin que les rois de France puissent, de leur propre mouvement, ôter la vie à un de leurs sujets, comme nos sultans, ils portent au contraire toujours avec eux la grâce de tous les criminels ; il suffit qu’un homme

  1. A. De ce qu’ils ont à y perdre.
  2. A. C. Et peu de princes morts d’une mort violente.
  3. Philippe-Auguste.
  4. Le Vieux de la montagne.