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LETTRE CXLI.


disaient ces femmes. Dites plutôt que cet imposteur ne me ressemble pas, disait le triomphant Ibrahim : comment faut-il faire pour être votre époux, si ce que je fais ne suffit pas ?

Ah ! nous n’avons garde de douter, dirent les femmes : si vous n’êtes pas Ibrahim, il nous suffit que vous ayez si bien mérité de l’être : vous êtes plus Ibrahim en un jour, qu’il ne l’a été dans le cours de dix années. Vous me promettez donc, reprit-il, que vous vous déclarerez en ma faveur contre cet imposteur ? N’en doutez pas, dirent-elles d’une commune voix : nous vous jurons une fidélité éternelle : nous n’avons été que trop longtemps abusées : le traître ne soupçonnait point notre vertu, il ne soupçonnait que sa faiblesse : nous voyons bien que les hommes ne sont point faits comme lui ; c’est à vous, sans doute, qu’ils ressemblent : si vous saviez combien vous nous le faites haïr ! Ah ! je vous donnerai souvent de nouveaux sujets de haine, reprit le faux Ibrahim ; vous ne connaissez point encore tout le tort qu’il vous a fait. Nous jugeons de son injustice par la grandeur de votre vengeance, reprirent-elles. Oui, vous avez raison, dit l’homme divin ; j’ai mesuré l’expiation au crime : je suis bien aise que vous soyez contentes de ma manière de punir. Mais, dirent ces femmes, si cet imposteur revient, que ferons-nous ? Il lui serait, je crois, difficile de vous tromper, répondit-il : dans la place que j’occupe auprès de vous, on ne se soutient guère par la ruse : et d’ailleurs je l’enverrai si loin, que vous n’entendrez plus parler de lui. Pour lors, je prendrai sur moi le soin de votre bonheur. Je ne serai point jaloux ; je saurai m’assurer de vous, sans vous gêner ; j’ai assez bonne opinion de mon mérite, pour croire que vous me serez fidèles : si vous