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Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/89

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LETTRE VII.


un seul de tes baisers. Qu’une femme est malheureuse d’avoir des désirs si violents, lorsqu’elle est privée de celui qui peut seul les satisfaire ; que, livrée à elle-même, n’ayant rien qui puisse la distraire, il faut qu’elle vive dans l’habitude des soupirs et dans la fureur d’une passion irritée ; que, bien loin d’être heureuse, elle n’a pas même l’avantage de servir à la félicité d’un autre ! ornement inutile d’un sérail, gardée pour l’honneur, et non pas pour le bonheur de son époux !

Vous êtes bien cruels, vous autres hommes ! Vous êtes charmés que nous ayons des passion [1] que nous ne puissions pas satisfaire : vous nous traitez comme si nous étions insensibles ; et vous seriez bien fâchés que nous le fussions : vous croyez que nos désirs, si longtemps mortifiés, seront irrités à votre vue. Il y a de la peine à se faire aimer ; il est plus court d’obtenir du désespoir de nos sens [2] ce que vous n’osez attendre [3] de votre mérite.

Adieu, mon cher Usbek, adieu. Compte que je ne vis que pour t’adorer : mon âme est toute pleine de toi ; et ton absence, bien loin de te faire oublier, animerait mon amour, s’il pouvait devenir plus violent.

Du sérail d’Ispahan, le 12 de la lune de rebiab 1, 1711.

  1. A. Des désirs.
  2. A. D’obtenir de notre tempérament.
  3. A. Espérer.